Le Monde de la photo s’arrête
|La rumeur l’évoquait depuis quelques semaines, c’est désormais officiel : Le Monde de la photo ne paraîtra plus. Pour les distraits du fond, c’est un titre pour lequel j’ai travaillé de 2013 à 2015. J’y ai connu de grandes joies, des moments plus difficiles, et aussi de vraies fiertés.
Je me rappellerai longtemps ce jour où, ayant reçu le troisième coup de fil en une semaine du représentant d’un produit sans intérêt, j’ai fini par lui rappeler que nous publiions un mensuel et qu’il n’était pas utile de nous relancer avant le mois suivant. Deux minutes plus tard, j’ai entendu le téléphone de Benjamin sonner. La conversation a donné quelque chose comme : “Allô ? Oui, c’est moi. Oui… D’accord… Ah, vous l’avez trouvé sec ? Ben écoutez, ça fait trois fois que vous appelez, votre produit est pas intéressant, je vois pas ce que ça va apporter d’appeler tous les membres de la rédaction un par un ! Au revoir.” Et comment ne pas évoquer ce lecteur qui, à chaque article sur un appareil APS‑C ou µ4/3, nous envoyait une interminable diatribe où il tortillait les chiffres dans tous les sens pour clamer que tout capteur autre qu’un plein format était une escroquerie honteuse ? Il a nourri un certain nombre de fous rires autour d’un café, devant la rédaction…
Plus professionnellement, c’est aussi au Monde de la photo, après les années “grand public” des Numériques, que j’ai pu creuser plus profondément certains sujets. J’y ai beaucoup découvert sur l’optique ; c’est en discutant avec le regretté Jean-Marie Sépulchre que j’ai appris à reconnaître les bons vieux Planar plus ou moins planqués dans tous les objectifs ultra-lumineux modernes. C’est aussi dans ce bureau que j’ai pris le temps d’étudier des outils de simulation pour expliquer certains phénomènes — comme la longueur d’un “vrai” téléobjectif. J’y ai aussi beaucoup appris sur les capteurs et j’y ai rédigé un des dossiers dont je reste le plus fier – cherchez donc le numéro 79. Et j’ai toujours la prétention de dire que le guide des boîtiers, fruit de semaines de mises à jour de petits détails dans les textes et d’harmonisation des notes, était bien plus qu’une compilation de tests : une référence incontournable à l’approche de la fin d’année.
Il est malheureux que Le Monde de la photo s’arrête. Pour ses employés bien évidemment, c’est une période d’inquiétude qui s’annonce. Ceci dit, étant donné leurs compétences et leur savoir-faire, je ne suis guère inquiet pour eux — n’hésitez pas à les contacter si vous avez besoin de gens pointus dans leur domaine. J’ai une pensée particulière pour Benjamin : on s’est souvent pris de bec (peut-être du fait de caractères un peu trop similaires), mais c’est un professionnel acharné capable d’abattre en urgence un travail impressionnant. Et par ailleurs, si vous aimez travailler avec des gens d’une culture étendue, d’une curiosité sans faille et d’un caractère agréable, Robert est tout désigné pour transformer vos phrases hésitantes en français fluide.
Mais la tristesse de cette annonce dépasse la rédaction. Pour l’ensemble de la profession, c’est également une mauvaise nouvelle : c’est un titre de moins dans des rayons déjà réduits, donc une moins bonne visibilité dans tous les kiosques de France et de Navarre.
Enfin, pour les lecteurs, il est toujours préférable de consulter des avis variés pour se faire une idée globale d’un sujet ; pour eux aussi, c’est donc une perte, celle d’un point de vue différent qui permettait de mieux comprendre cet univers.
En somme, le magazine nous manquera, à nous tous qui nous intéressons à l’image.