Le Monde de la photo s’arrête

La rumeur l’é­vo­quait depuis quelques semaines, c’est désor­mais offi­ciel : Le Monde de la pho­to ne paraî­tra plus. Pour les dis­traits du fond, c’est un titre pour lequel j’ai tra­vaillé de 2013 à 2015. J’y ai connu de grandes joies, des moments plus dif­fi­ciles, et aus­si de vraies fiertés.

Le Monde de la photo n°142
Le numé­ro 142, der­nier d’une série lan­cée en 2007…

Je me rap­pel­le­rai long­temps ce jour où, ayant reçu le troi­sième coup de fil en une semaine du repré­sen­tant d’un pro­duit sans inté­rêt, j’ai fini par lui rap­pe­ler que nous publiions un men­suel et qu’il n’é­tait pas utile de nous relan­cer avant le mois sui­vant. Deux minutes plus tard, j’ai enten­du le télé­phone de Ben­ja­min son­ner. La conver­sa­tion a don­né quelque chose comme : “Allô ? Oui, c’est moi. Oui… D’ac­cord… Ah, vous l’a­vez trou­vé sec ? Ben écou­tez, ça fait trois fois que vous appe­lez, votre pro­duit est pas inté­res­sant, je vois pas ce que ça va appor­ter d’ap­pe­ler tous les membres de la rédac­tion un par un ! Au revoir.” Et com­ment ne pas évo­quer ce lec­teur qui, à chaque article sur un appa­reil APS‑C ou µ4/3, nous envoyait une inter­mi­nable dia­tribe où il tor­tillait les chiffres dans tous les sens pour cla­mer que tout cap­teur autre qu’un plein for­mat était une escro­que­rie hon­teuse ? Il a nour­ri un cer­tain nombre de fous rires autour d’un café, devant la rédaction…

Plus pro­fes­sion­nel­le­ment, c’est aus­si au Monde de la pho­to, après les années “grand public” des Numé­riques, que j’ai pu creu­ser plus pro­fon­dé­ment cer­tains sujets. J’y ai beau­coup décou­vert sur l’op­tique ; c’est en dis­cu­tant avec le regret­té Jean-Marie Sépulchre que j’ai appris à recon­naître les bons vieux Pla­nar plus ou moins plan­qués dans tous les objec­tifs ultra-lumi­neux modernes. C’est aus­si dans ce bureau que j’ai pris le temps d’é­tu­dier des outils de simu­la­tion pour expli­quer cer­tains phé­no­mènes — comme la lon­gueur d’un “vrai” télé­ob­jec­tif. J’y ai aus­si beau­coup appris sur les cap­teurs et j’y ai rédi­gé un des dos­siers dont je reste le plus fier – cher­chez donc le numé­ro 79. Et j’ai tou­jours la pré­ten­tion de dire que le guide des boî­tiers, fruit de semaines de mises à jour de petits détails dans les textes et d’har­mo­ni­sa­tion des notes, était bien plus qu’une com­pi­la­tion de tests : une réfé­rence incon­tour­nable à l’ap­proche de la fin d’année.

Il est mal­heu­reux que Le Monde de la pho­to s’ar­rête. Pour ses employés bien évi­dem­ment, c’est une période d’in­quié­tude qui s’an­nonce. Ceci dit, étant don­né leurs com­pé­tences et leur savoir-faire, je ne suis guère inquiet pour eux — n’hé­si­tez pas à les contac­ter si vous avez besoin de gens poin­tus dans leur domaine. J’ai une pen­sée par­ti­cu­lière pour Ben­ja­min : on s’est sou­vent pris de bec (peut-être du fait de carac­tères un peu trop simi­laires), mais c’est un pro­fes­sion­nel achar­né capable d’a­battre en urgence un tra­vail impres­sion­nant. Et par ailleurs, si vous aimez tra­vailler avec des gens d’une culture éten­due, d’une curio­si­té sans faille et d’un carac­tère agréable, Robert est tout dési­gné pour trans­for­mer vos phrases hési­tantes en fran­çais fluide.

Mais la tris­tesse de cette annonce dépasse la rédac­tion. Pour l’en­semble de la pro­fes­sion, c’est éga­le­ment une mau­vaise nou­velle : c’est un titre de moins dans des rayons déjà réduits, donc une moins bonne visi­bi­li­té dans tous les kiosques de France et de Navarre.

Enfin, pour les lec­teurs, il est tou­jours pré­fé­rable de consul­ter des avis variés pour se faire une idée glo­bale d’un sujet ; pour eux aus­si, c’est donc une perte, celle d’un point de vue dif­fé­rent qui per­met­tait de mieux com­prendre cet univers.

En somme, le maga­zine nous man­que­ra, à nous tous qui nous inté­res­sons à l’image.

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