M 262 : le Df télémétrique ?

Lei­ca pour­suit sa stra­té­gie de diver­si­fi­ca­tion et ajoute un cin­quième M à sa gamme. Le type 262 se pré­sente en gros comme un M débar­ras­sé de la visée sur écran et de la vidéo. Un peu comme le Nikon Df en son temps, mais peut-être mieux fait — ici, ça s’ac­com­pagne d’une simplification.

Photokina 2012 : Leica présente le M-E en entrée de gamme, en plus du M "tout court". photos Leica
Pho­to­ki­na 2012 : Lei­ca pré­sente le M‑E en entrée de gamme, en plus du M “tout court”. pho­tos Leica

Après des années où la gamme M ne comp­tait qu’un modèle cou­rant, Lei­ca a com­men­cé en 2012 à la diver­si­fier : elle a lan­cé le M‑E, un appa­reil très proche du M9 et notam­ment tou­jours équi­pé du CCD On Semi (né Kodak), char­gé de four­nir une entrée de gamme aux côtés de l’am­bi­tieux M “tout court” — le pre­mier boî­tier Cmos de la série. Cette stra­té­gie d’ou­ver­ture s’est ensuite tra­duite par une série de décli­nai­sons du M : M Mono­chrom, plus sen­sible mais pho­to­gra­phiant uni­que­ment en noir et blanc ; M‑P, tam­pon amé­lio­ré et écran ren­for­cé ; et sur­tout M édi­tion 60, dépour­vu d’é­cran et de menus, pho­to­gra­phiant uni­que­ment en Raw et évi­dem­ment inca­pable de filmer.

Voi­ci donc le M type 262 (cette fois, impos­sible de le dis­tin­guer du M tout court, alias “type 240”, sans don­ner le numé­ro construc­teur…). Exté­rieu­re­ment, c’est un M 240 allé­gé du bou­ton sur la face avant et de la prise pour viseur élec­tro­nique. Inté­rieu­re­ment, c’est un M 240, doté d’un obtu­ra­teur “plus silen­cieux en mode d’ex­po­si­tion unique” et d’un capot en alu­mi­nium au lieu du lai­ton, gagnant une cen­taine de grammes au passage.

Simplifié, vraiment ?

La vraie nou­veau­té, c’est donc la dis­pa­ri­tion de la visée sur écran, dont la com­mande laisse la place à un accès direct à la balance des blancs. “En rai­son de l’ab­sence des fonc­tions Live View et vidéo, le menu est extrê­me­ment allé­gé et se com­pose seule­ment de deux pages”, nous dit Leica.

Atten­dez une seconde.

Menu extrê­me­ment allé­gé <=> deux pages ?!

Pre­mière chose : quelles sont les fonc­tions qu’on attend dans un menu extrê­me­ment allé­gé, pour un appa­reil pho­to ? Réglage Raw/Jpeg, inter­val­lo­mètre, limites Iso Auto, copy­right, date et heure, langue… Vous arri­vez pas à faire tenir ça sur une seule page ? Alors c’est que votre menu n’est pas extrê­me­ment allé­gé, il est juste débar­ras­sé des options vidéo.¹

Deuxième chose : pour qui veut un appa­reil vrai­ment allé­gé, qui se concentre sur la prise de vue et laisse le reste à l’or­di­na­teur, il y a le M édi­tion 60.

Voilà, ça, c'est un menu vraiment allégé. photo Leica
Voi­là, ça, c’est un menu vrai­ment allé­gé. pho­to Leica

Troi­sième chose, bien plus impor­tante : sup­pri­mer la vidéo dimi­nue-t-il le coût de l’ap­pa­reil ? Et bien… Non.

J’a­vais déjà fait cette remarque au lan­ce­ment du Nikon Df, mais c’est encore le cas avec le M 262 : l’élec­tro­nique est tou­jours celle du M 240. Le cap­teur bien sûr, mais aus­si et sur­tout le pro­ces­seur, le “Maes­tro” appa­ru sur le M 240. L’en­semble intègre tou­jours des fonc­tions de visée directe et de com­pres­sion vidéo, elles sont juste ren­dues inac­ces­sibles en reti­rant les options cor­res­pon­dantes du menu. En fait, selon toute vrai­sem­blance, cela coû­te­rait plus cher de faire un pro­ces­seur spé­cial sans fonc­tion vidéo que de réuti­li­ser le pro­ces­seur existant.

Point commun entre Nikon Df et Leica M 262 : une électronique conçue pour la vidéo. documents Nikon et Leica
Point com­mun entre Nikon Df et Lei­ca M 262 : une élec­tro­nique conçue pour la vidéo. docu­ments Nikon et Leica

Finan­ciè­re­ment, l’é­co­no­mie liée à la sup­pres­sion de la cap­ture en temps réel ne porte donc que sur un élé­ment maté­riel : l’ap­pa­reil peut être dépour­vu de micro. En l’oc­cur­rence, le port du viseur élec­tro­nique a éga­le­ment été ôté, ce qui doit per­mettre d’é­co­no­mi­ser au total une demi-dou­zaine d’eu­ros en comp­tant large.

À l’in­verse, le M 262 a un nou­veau boî­tier. Je ne sais plus quel fabri­cant chi­nois de marque blanche m’a­vait dit il y a quelques années que créer une nou­velle coque pour ses appa­reils en plas­tique coû­tait envi­ron 40 000 $. Ici, on parle de magné­sium et d’a­lu­mi­nium, donc ça doit être plus cher. Ajou­tez l’ob­tu­ra­teur revu, dites-vous que ce coût de recherche et déve­lop­pe­ment doit être amor­ti… Oui, la logique vou­drait que le M 262 soit plus cher que le M 240.

Bien enten­du, Lei­ca a pu faire quelques éco­no­mies, amé­lio­rer l’in­té­gra­tion de cer­tains com­po­sants, ou réduire la mémoire tam­pon (1 Go, moi­tié moins que sur le M‑P). Mais je ne serais pas éton­né que Lei­ca fasse en fait moins de marge sur ce pro­duit que sur le M 240.

Et pour le photographe ?

Bon, la sup­pres­sion de la visée sur écran n’ap­porte rien. Mais gêne-t-elle pour autant ?

Beau­coup de pho­to­graphes ne se servent qua­si­ment que du viseur. Pour ceux-ci, cette sup­pres­sion est à peu près indo­lore. Mieux : l’ar­ri­vée d’un accès direct à la balance des blancs est une nou­veau­té essen­tielle pour qui­conque uti­lise direc­te­ment ses fichiers Jpeg.

Oui, mais.

Mais il existe cer­taines situa­tions où il est bien pra­tique de viser sur l’é­cran (posi­tions impos­sibles, au ras du sol notam­ment), et dès que l’on s’ap­proche du sujet la paral­laxe devient gênante sur un viseur télé­mé­trique. Tout le monde ne fait pas de la macro avec un M, mais rien qu’en por­trait à un mètre, un maniaque du cadrage peut com­men­cer à noter l’é­cart entre viseur et prise de vue.

En outre, je vois au moins un truc qui me rend cette fonc­tion très utile sur un télé­mé­trique : le déca­lage de la mise au point. Un télé­mètre est une méca­nique com­plexe, qui peut être très pré­cise lors­qu’elle est bien réglée, mais qui peut très vite deve­nir approxi­ma­tive si une pièce s’use ou se dérègle. La visée sur écran, sur­tout avec pea­king (mise en évi­dence des contours nets), est un excellent outil de diag­nos­tic : au moindre doute sur le réglage de votre télé­mètre, faites une mise au point sur l’é­cran, puis jetez un œil dans votre télé­mètre, vous sau­rez immé­dia­te­ment s’il est bien calé. Et s’il ne l’est pas, vous sau­rez de com­bien il est dépha­sé, ce qui vous per­met­tra de conti­nuer à pho­to­gra­phier en repro­dui­sant approxi­ma­ti­ve­ment ce déca­lage — ça sera moins pra­tique qu’un télé­mètre par­fai­te­ment réglé, mais plus qu’une mise au point pifo­mé­trique ou sys­té­ma­ti­que­ment fausse. Sans visée sur écran, vous devrez pas­ser par une bat­te­rie d’ap­proxi­ma­tions (ou par votre SAV…) pour savoir exac­te­ment ce qu’il en est.

Adieu LV, bonjour WB. photo Leica
Adieu LV, bon­jour WB. pho­to Leica

La bonne nou­velle, c’est que Lei­ca a mieux géré le “retour aux bases” que Nikon. Le M 262 n’a pas de han­di­cap par­ti­cu­lier, au contraire du Df qui souf­frait d’un sys­tème de com­mandes à l’an­cienne ajou­té sur des com­mandes modernes. Mais celui qui veut un M moderne aura tou­jours inté­rêt à prendre le M 240, et celui qui sou­haite réel­le­ment reve­nir aux sources trou­ve­ra son bon­heur avec le M édi­tion 60. Situé dans un incon­for­table entre-deux, le M 262 n’est fina­le­ment pas un avion de chasse.

¹ Pour les curieux, jeter un œil au manuel donne une expli­ca­tion. Le menu intègre en fait un lot d’op­tions redon­dantes (Iso et balance des blancs) et des fonc­tions à l’u­ti­li­té dis­cu­table : taux de com­pres­sion Jpeg (utile à l’é­poque où on avait des cartes mémoire de 32 Mo, tou­jours lais­sé à la meilleure qua­li­té aujourd’­hui), délai du retar­da­teur (une dizaine de secondes, ça cor­res­pond à tous les usages), limites d’a­ver­tis­se­ment d’é­crê­tage, lumi­no­si­té de l’é­cran (utile lors­qu’on l’emploie pour viser, mais jus­te­ment le M 262 ne le fait pas), com­pen­sa­tion d’ex­po­si­tion (il devrait y avoir un réglage direct pour ça)… En véri­té, le M 262 n’est pas sim­pli­fié par rap­port à un modèle classique.