La rumeur…

Il y a un truc plus régu­lier qu’un cou­cou suisse, plus per­sis­tant que Bruce Willis dans Une jour­née en enfer, et plus las­sant que l’in­té­grale de Plus belle la vie : les rumeurs sur l’ar­rêt de la pho­to chez Samsung.

Je suis arri­vé dans le milieu en 2007–2008. Depuis, j’ai d’a­bord enten­du dire que Sam­sung arrê­tait les appa­reils pho­to lorsque Sam­sung Tech­win a arrê­té — pour les trans­fé­rer à la divi­sion Sam­sung Ima­ging, créée pour l’oc­ca­sion. J’ai enten­du dire que Sam­sung arrê­tait les appa­reils pho­to lors­qu’ils ont arrê­té les reflex (en fait des Pentax rebad­gés), quelques mois avant de lan­cer en grande pompe leur pre­mier NX. J’ai enten­du dire que Sam­sung arrê­tait les appa­reils pho­to lorsque Sam­sung Ima­ging a été fer­mée, son acti­vi­té étant fusion­née avec Sam­sung Mobility.

J'ai eu un GX-10. Enfin presque : j'ai eu un Pentax K10D, la version originale. Et c'était bien. document Samsung
J’ai eu un GX-10. Enfin presque : j’ai eu un Pentax K10D, la ver­sion ori­gi­nale. L’ar­rêt des GX a fait cou­leur pas mal d’encre à l’é­poque. docu­ment Samsung

Ce mois-ci, comme d’ha­bi­tude, il a a nou­veau été ques­tion que Sam­sung arrête la pho­to, infor­ma­tion comme d’ha­bi­tude sobre­ment démen­tie par l’entreprise.

L’a­na­lyse d’Ima­ging resource est inté­res­sante : Sam­sung lais­se­rait éven­tuel­le­ment tom­ber les com­pacts. Logique, cette acti­vi­té étant en perte de vitesse chez tous les construc­teurs, il suf­fit de jeter un œil aux gammes pour s’en convaincre. En 2013, d’a­près mon décompte, Canon avait lan­cé 16 com­pacts et bridges, Fuji­film 22, Nikon 17, Olym­pus 11, Pana­so­nic 13, Ricoh-Pentax 8 et Sony 16. En 2015, ils en sont à 11, 4, 11, 4, 5, 2 et 4 res­pec­ti­ve­ment ; et encore faut-il noter que Fuji, Olym­pus et Ricoh ont en fait tota­le­ment délais­sé le seg­ment, ne conser­vant que quelques pro­duits cor­res­pon­dant à leurs spé­cia­li­tés his­to­riques (modèles étanches, bridges et com­pacts experts). Certes, l’an­née n’est pas finie, mais il est peu pro­bable que des com­pacts grand public débarquent d’i­ci Noël. Quant à Sam­sung, la marque n’a lan­cé aucun com­pact en 2015 : ceux qui sont aujourd’­hui en bou­tiques sont des modèles de 2014.

Mettre offi­ciel­le­ment fin à cette acti­vi­té n’est donc de toute façon qu’une ques­tion de temps. Ne plus dépen­ser un cen­time dans des com­pacts qui ne rap­portent rien, cela per­met de construire une gamme cohé­rente avec des smart­phones pour les pho­tos du quo­ti­dien et des appa­reils à objec­tifs inter­chan­geables pour les tra­vaux plus avan­cés. C’est non seule­ment pos­sible, mais pro­ba­ble­ment sou­hai­table, la recherche et déve­lop­pe­ment pou­vant dès lors se concen­trer sur des pro­duits qui ont une rai­son d’être.

Arrê­ter les appa­reils pho­to, en revanche, serait incom­pré­hen­sible. Sam­sung a déployé l’an pas­sé énor­mé­ment d’éner­gie pour créer le COI ultime, celui qui non seule­ment repré­sente le sum­mum de l’é­tat de l’art de son seg­ment, mais vise déli­bé­ré­ment plus haut.

S'arrêter après le NX1 serait un crime.
S’ar­rê­ter après le NX1 serait un crime.

Le NX1, mes enfants, c’est une tue­rie abso­lue, et je n’ai pas peur de dire que si je devais m’é­qui­per aujourd’­hui en maté­riel de prise de vue, je consi­dé­re­rais sérieu­se­ment cette option (il lui manque un 500 mm pour les pho­tos d’a­vion, quand même). Il n’est pas plus com­pact qu’un reflex, pas beau­coup plus léger non plus, mais il en reprend toutes les qua­li­tés ; c’est le seul COI dont l’au­to­no­mie per­mette de par­tir serei­ne­ment pour la jour­née et, avec l’O­lym­pus E‑M1, c’est le seul sur lequel je me sois dit que l’au­to­fo­cus était désor­mais glo­ba­le­ment proche de celui des reflex experts de réfé­rence même sur des sujets mobiles. Mais à ces points forts, il adjoint les qua­li­tés typiques des COI : pré­vi­sua­li­sa­tion fidèle de l’i­mage finale, pas­sage trans­pa­rent de la pho­to à la vidéo, pos­si­bi­li­té de viser indif­fé­rem­ment au viseur ou à l’écran…

En outre, ce n’est pas le seul exemple de gros inves­tis­se­ment en pho­to de la part du Coréen : une belle série de nou­velles optiques a accom­pa­gné le NX1, mieux bâties, plus per­for­mantes et plus agréables que les pré­cé­dentes, elles aus­si capables de sup­por­ter la com­pa­rai­son avec les ténors du marché.

On peut tou­jours ima­gi­ner un chant du cygne, façon “bon, là, on met tout sur la table, si ça marche pas on arrête les frais”. Sauf que.

Sauf que depuis le lan­ce­ment du NX1, Sam­sung n’ar­rête pas de le mettre à jour. Les amé­lio­ra­tions qu’a subies cet appa­reil n’ont que peu d’é­qui­va­lents his­to­riques : si on trouve régu­liè­re­ment des amé­lio­ra­tions impor­tantes chez Fuji et Ricoh, il faut recon­naître que la ver­sion 2 du Canon EOS 7D et les évo­lu­tions régu­lières des Pana­so­nic GH res­tent des exemples assez iso­lés chez les construc­teurs majeurs. Si le NX1 était un der­nier coup pour voir, le déve­lop­pe­ment aurait ces­sé rapi­de­ment et se serait can­ton­né à la cor­rec­tion de bugs ; le fait qu’il ait encore été mis à jour en août, avec de vraies fonc­tions sup­plé­men­taires qui mieux est, montre que l’ap­pa­reil est sui­vi par ses géniteurs.

Vous me direz, on pour­rait s’en foutre, que des rumeurs soient lan­cées pério­di­que­ment et qu’elles res­tent fausses.

Mais le sou­cis, c’est que Sam­sung a un pro­blème d’i­mage auprès des pho­to­graphes. L’a­ban­don des reflex, même s’il n’a pas eu de consé­quence pra­tique pour ses clients (toute la gamme Pentax, entiè­re­ment com­pa­tible, a conti­nué), a écor­né l’i­dée de péren­ni­té de la marque chez les spé­cia­listes ; et les rumeurs per­sis­tantes ont depuis entre­te­nu arti­fi­ciel­le­ment cette méfiance, alors même que rien de concret n’a jamais lais­sé pen­ser que le sys­tème NX allait s’ar­rê­ter. J’i­gnore com­bien d’a­che­teurs poten­tiels du NX1 ont pré­fé­ré s’of­frir un autre appa­reil uni­que­ment parce que “oui, mais si Sam­sung s’ar­rête, je devrais tout rache­ter” ; mais une chose est sûre, c’est que ces rumeurs n’ont aucun effet positif.

À la limite, je me fiche de la marque : des entre­prises naissent, changent d’o­rien­ta­tion et dis­pa­raissent tous les jours sans que ça soit un drame. Mais le NX1, lui, est un pro­duit qui mérite un véri­table suc­cès, et je gar­de­rai tou­jours le sen­ti­ment d’une cer­taine injus­tice si cet appa­reil super­be­ment réus­si reste dans l’ombre à cause d’un pro­blème d’i­mage de marque.