Noms d’oiseaux

Vous le savez, depuis deux ans, Zeiss emploie des noms d’oi­seaux pour dési­gner ses gammes d’ob­jec­tifs. Per­son­nel­le­ment, j’ai un gros doute sur l’in­té­rêt de cette pra­tique : là où la plu­part des construc­teurs uti­lisent des dési­gna­tions qui ont un rap­port avec les carac­té­ris­tiques, per­met­tant de savoir rapi­de­ment à quel appa­reil se des­tine un objec­tif, on se retrouve avec une série de noms inter­chan­geables dont il faut apprendre la signi­fi­ca­tion par cœur.

Ain­si, chez Tam­ron, je sais qu’un Di est un objec­tif pour reflex 24x36 mm, un Di II pour reflex APS, un Di III pour com­pact à objec­tifs inter­chan­geables, c’est clair et facile à rete­nir (c’est dans l’ordre d’ap­pa­ri­tion des tech­no­lo­gies). Même logique chez Sig­ma avec les DG, DC et DN res­pec­ti­ve­ment (un peu plus com­pli­qué à rete­nir)… Zeiss a d’ailleurs long­temps eu des déno­mi­na­tions pas très sexy, mais expli­cites : ZF, ça se monte sur un Nikon 24x36 mm ; ZE, sur un Canon 24x36 mm ; ZM, sur un Lei­ca télémétrique.

Main­te­nant, petit quizz : entre un Touit, un Mil­vus et un Batis, lequel vous mon­te­riez sur un Fuji­film X‑E2 ?

Tic-tac, tic-tac, tic-tac…

Voi­là, la réponse est pas simple, même quand on connaît bien le maté­riel et qu’on a sui­vi le lan­ce­ment de ces nou­velles gammes.

Un milvus, en vrai, c'est ça.
Un mil­vus, en vrai, c’est ça.

Otus est une large famille de petits-ducs. Ils voient bien la nuit, ce qui explique sans doute pour­quoi Zeiss a appe­lé ain­si des objec­tifs lumi­neux, mais pour le reste, c’est hors-sujet : les Otus sont des petits oiseaux, légers et agiles, les Zeiss 55 mm et 85 mm f/1,4 pèsent autour d’un kilo, se montent sur des reflex et imposent une mise au point manuelle.

Mil­vus ne com­porte que deux espèces : le milan noir et le milan royal (il y a débat sur le milan d’É­gypte, qui serait peut-être une sous-espèce du milan noir). Adeptes du vol Saint-Esprit (ils remontent le vent pour res­ter à la ver­ti­cale de leur proie, comme le fau­con cré­ce­relle), ils sont rela­ti­ve­ment puis­sants et agiles, mais sont sur­tout des cha­ro­gnards qui s’a­donnent à la chasse en fonc­tion des oppor­tu­ni­tés. Chez Zeiss, inver­se­ment, Mil­vus est une très large famille, tou­jours dédiée aux reflex, et tout de même plu­tôt noc­tam­bule : le 21 mm se contente de f/2,8, mais les 35 mm, 50 mm macro et 100 mm macro ouvrent à f/2 et les 50 mm pas-macro et 85 mm poussent à f/1,4. Tou­jours pas d’a­gi­li­té ici, il vous fau­dra faire une mise au point manuelle et le poids reste élevé.

Et oui, il y a bien comme une redon­dance entre les deux gammes, sur le stan­dard et le portrait.

Rare exemple de logique : un nom léger et courant pour des optiques légères et abordables.
Rare exemple de logique : un oiseau léger et cou­rant pour des optiques légères et abordables.

Touit est une famille de petits psit­ta­ci­dés, cou­sins des per­ro­quets et per­ruches, vivant en Amé­rique latine. Enfin un truc vague­ment logique : ces petits objec­tifs (moins de 300 g) qui se montent sur de petits appa­reils (COI Sony ou Fuji­film) portent le nom d’un petit oiseau ! Ils ont éga­le­ment un auto­fo­cus, den­rée rare chez Zeiss, mais ne sont pas très lumi­neux : f/2,8 pour le 12 mm et le 50 mm, f/1,8 pour le 32 mm.

Loxia est une famille d’a­ni­maux par­ti­cu­liè­re­ment tor­dus : en France, ils portent le nom clair et ima­gé de bec-croi­sé. Dis­crets à part pour leur appen­dice en tire-bou­chon, ils sont très répan­dus dans les forêts de coni­fères de toute la pla­nète. Chez Zeiss, les Loxia sont un trio d’ob­jec­tifs conçus spé­cia­le­ment pour la famille Sony α7 et, comme les becs-croi­sés, ils sont un peu tor­dus : créés pour l’ap­pa­reil 24x36 mm le plus moderne du mar­ché, ils imposent une mise au point manuelle.

Batis, enfin, était un eunuque com­man­dant le fort de Gaza, qui fut défait et exé­cu­té par Alexandre le Grand. C’est donc “logi­que­ment” que Zeiss a choi­si ce nom pour sa deuxième gamme dédiée à l’α7, celle à laquelle il ne manque aucun organe essen­tiel : ce 35 mm f/2 et ce 85 mm f/1,8 ont un auto­fo­cus, hal­le­lu­jah. Sinon, Batis est aus­si le nom du genre des cou­sins afri­cains de nos gobe-mouches, autant dire le type d’oi­seau hyper-cou­rant et abso­lu­ment pas remar­quable qui n’in­té­resse personne.

En résu­mant :

Otus Mil­vus Touit Loxia Batis
hibou milan per­ruche bec-croi­sé gobe-mouches
reflex 24x36 reflex 24x36 COI APS COI 24x36 COI 24x36
MaP manuelle MaP manuelle auto­fo­cus MaP manuelle auto­fo­cus

Si encore Zeiss avait eu une logique, genre uti­li­ser des noms d’oi­seaux noc­turnes pour les optiques les plus lumi­neuses ou d’oi­seaux puis­sants pour les plus lourdes, ça serait pas­sé. Mais en l’é­tat, la consti­tu­tion même des familles est d’une cohé­rence dou­teuse (redon­dance entre Otus et Mil­vus sur les 50/55 et 85 mm par exemple), et il est d’au­tant plus étrange d’a­voir deux familles sépa­rées pour le seul α7 que Zeiss signe déjà les optiques haut de gamme de Sony, dont quatre FE ZA dédiées à ces appa­reils : le logo Zeiss est donc pré­sent sur pas moins de trois gammes pour ce seul type d’appareil !

Quant à rete­nir les noms… Ben oui, il n’y a plus qu’à apprendre par cœur.