Monture L : capteur au choix ?
|La monture L, tout le monde vous l’a dit, c’est l’alliance de Panasonic et Sigma autour d’une baïonnette créée pour les hybrides Leica. C’est donc, là aussi tout le monde vous l’a dit, l’assurance d’une gamme optique au développement ultra-rapide — une trentaine d’objectifs disponibles en 2020, contre plus probablement une grosse dizaine pour les montures Canon RF et Nikon Z.
Cela est bel et bon, mais il y a un truc que mes anciens confrères n’ont à mon avis pas assez souligné : la monture L, c’est aussi la possibilité de changer de capteur.
Un système, un rendu
Souvenez-vous, c’était l’ère argentique. Ce matin, vous alliez faire du portrait, vous preniez donc un boîtier chargé en Portra 160NC. Cet après-midi, c’était reportage sur la manif du coin, le bon moment pour faire un rouleau de HP5+. Et quand venait le soir, pour que le ciel flamboie malgré la grisaille parisienne, vous chargiez un rouleau de Velvia 50.
Avec l’arrivée du numérique, les choses ont un peu changé. Votre capteur est solidement fixé dans votre appareil, n’espérez plus en changer : en adoptant une monture, vous êtes entré dans un système qui détermine non seulement la gamme optique utilisable, mais aussi le capteur et ses capacités.
Bien sûr, vous allez me dire que les réglages de Darktable (ou de Lightroom, si vous aimez donner votre argent à une entreprise millionnaire) vous permettent, à partir de votre capteur, de simuler le rendu saturé de la Velvia, le contraste granuleux du HP5+ ou la finesse délicate d’un Portra 160NC.
Oui, mais non.
Il reste des différences notables d’un capteur à l’autre.
D’abord, l’immense majorité des capteurs utilisent la matrice de Bayer, extrêmement sensible au moiré et aux artefacts colorés. Pour réduire ces problèmes, on peut leur ajouter un filtre passe-bas, mais celui-ci réduit le piqué de l’image et donne des textures floues et grossières. Très rares sont les capteurs multicouches Foveon, dont la structure limite grandement 1 ces problèmes et qui offrent des textures extrêmement fines, mais qui souffrent d’une sensibilité pathétique et d’une lenteur proverbiale. Un peu moins rares, les X‑trans sont un compromis raisonnable, bons en haute sensibilité, généreux en texture, assez résistants aux fausses couleurs, mais plus gourmands en calculs.
Ensuite, la structure même du capteur joue sur ses performances. C’est toujours une affaire de compromis : un puits de grande capacité assurera une bonne dynamique, mais peut s’accompagner d’un bruit de lecture élevé. Une photodiode de bonne surface est plus sensible, mais sature plus vite et est plus sensible au cross-talk (et complique l’intégration de l’électronique). Et puis, la qualité d’image n’est pas la seule qualité d’un capteur : de nos jours, sa capacité à intégrer des détecteurs de phase et sa vitesse de lecture sont des données fondamentales pour qui veut une mise au point performante et une rafale efficace.
Pour les testeurs, de manière générale, les capteurs Sony offrent une meilleure dynamique, mais les Canon ont une longueur d’avance côté autofocus.
Le résultat, c’est que malgré tous les réglages de votre logiciel favori, choisir un système, c’est aussi choisir un rendu et une gamme de performances.
Achetez un Canon, vous aurez un autofocus souple et efficace en vidéo, mais vous grillerez un peu vite les hautes lumières. Achetez un Pentax ou un Nikon, vous aurez une meilleure dynamique mais un autofocus plus limité en Live View. Achetez un Fujifilm, vous aurez un rendu des textures et des couleurs intéressant, mais vos Raw seront un peu plus pointus à bien développer. Achetez un Sigma, vous aurez une finesse de textures ahurissante et vous pourrez faire des paysages urbains sans inquiétude, mais vous aurez le temps de boire un café avant de voir votre image…
Et tout ça, bien sûr, est gravé dans le marbre : à chaque marque ses spécificités, son expertise. Si vous faites de la photo en ville le matin et du sport le soir, vous avez le choix : prendre un boîtier couteau suisse (oh, un K‑1 II) raisonnablement bon pour tout, activer ou désactiver le passe-bas selon le moment mais ne jamais être ébloui ; prendre un boîtier dédié au sport (D5 mon ami) et pleurer sur le moiré de vos rambardes, tuiles et grilles d’aération du matin ; prendre du Sigma et rater trois photos sur quatre une fois arrivé au gymnase.
Ou bien, avoir un Sigma pour le paysage architectural, un D5 pour le sport, et avoir un lot d’optiques redondantes parce que vous aurez besoin d’un 24 mm en monture SA pour l’un et d’un 24 mm en monture F pour l’autre. Le temps béni où des supports très différents étaient utilisables avec la même monture a disparu à la mort du S5 Pro, qui permettait aux Nikonistes d’avoir aussi un appareil parfait pour le portrait et les mariages.
Le choix du L
C’est à mon avis LA grande nouveauté de la monture L : vous allez pouvoir choisir votre capteur.
Bon, pas directement bien sûr.
Mais avec des appareils Panasonic, Leica et Sigma, vous allez gagner énormément en souplesse à l’heure de profiter de vos (nombreux) objectifs.
Panasonic, c’est un grand utilisateur de la matrice de Bayer, avec des capteurs habituellement un peu justes en dynamique mais profitant d’une lecture extrêmement rapide et d’algorithmes de mise au point très pointus. (Je dis “habituellement” parce que là, ça va être leurs premiers capteurs 24×36 dans des boîtiers à eux, donc il faudra juger sur pièces ces appareils-là.)
Leica est également habitué à la matrice de Bayer, mais achète ses capteurs en fonction des besoins du jour — beaucoup de Sony, donc dynamique et sensibilité excellentes, un peu de Cmosis au rendu plutôt convaincant mais plus juste en dynamique, un peu de source non confirmée… Leica, surtout, fait de temps en temps des capteurs monochromes, qui évidemment ne voient pas les couleurs mais qui, débarrassés du dématriçage, peuvent offrir une finesse exceptionnelle (en plus d’une excellente sensibilité).
Sigma, enfin, fait les Foveon. Rien que pour ça, loué soit son nom. Bien sûr, les Foveon, c’est de la merde en barre : vous vous arrachez les cheveux passés 400 ISO, le rendu des couleurs doit être travaillé quasiment image par image (et Sigma Photo Pro met trois plombes à faire une bête balance des blancs), et la vitesse de lecture limite fortement rafale et autofocus. Mais les Foveon, ce sont aussi des capteurs miraculeux dans certaines applications spécifiques, dès qu’on a besoin d’un rendu irréprochable des textures ou qu’on craint l’apparition de moiré en masse. Faut être malade pour amener un Foveon dans un stade ou une manif, mais si votre truc, c’est la macro, le paysage urbain ou même le portrait posé, goûtez‑y, vous en redemanderez.
Beaucoup de commentateurs ont souligné ce qu’on allait mettre devant la monture L : des optiques d’exception siglées Leica, des objectifs plus accessibles chez Sigma et Panasonic, et une gamme très large très rapidement.
Mais il est tout aussi intéressant de regarder ce qu’on peut mettre derrière.
Sur les optiques de votre choix, vous allez pouvoir fixer le matin un Sigma pour photographier le lever de soleil sur le pont Dom-Luís, l’après-midi un Leica monochrome pour shooter les manifestations anti-austérité sur la praça da Liberdade, le soir un Panasonic pour filmer le match de hand FC Porto-RK Vardar Skopje.
(OK, Leica n’a pas pour l’instant de monochrome en monture L. Ils y viendront. J’ai confiance. J’espère.)
On n’en est pas encore à pouvoir réellement prendre le capteur parfait pour chaque occasion, et le mettre dans un boîtier unique à l’ergonomie connue. On n’y viendra sans doute jamais, d’ailleurs, vu à quel point le capteur est désormais un élément totalement intégré dans le boîtier, jouant un rôle fondamental dans ses performances.
Mais avec la possibilité de passer d’un Bayer 24 Mpx (Panasonic S1 ou Leica SL) à un Bayer de 47 Mpx (Panasonic S1 R) ou à un Foveon de, sans doute, environ 46 Mpx (le futur Sigma 24×36 mm, en mettant à l’échelle le capteur des SD Quattro2), on va enfin avoir un vrai choix de rendus radicalement différents en fonction des applications, sans avoir à doubler son parc optique.
Et ça, c’est un vrai avantage de l’alliance de la monture L, dont même Sony, avec ses trois Bayer de 12, 24 et 42 Mpx, ne peut se prévaloir.
- Voire élimine totalement, sur feu les Foveon x3.
- Je ne veux pas croire que le brevet JP 2018–195961 préfigure le prochain capteur Sigma : cela reviendrait à revenir à une séparation spatiale des couleurs, et donc à renoncer précisément à la seule vraie qualité des Foveon.