Nikon P1000 : et la diffraction dans tout ça ?

Si vous sui­vez l’ac­tua­li­té du maté­riel pho­to, vous n’a­vez pas pu le rater : Nikon a pré­sen­té le P1000, un bridge qui bat le record de zoom (125×) et de longue focale (3000 mm). Inté­res­sant ? À voir : il va sévè­re­ment se heur­ter à une limite phy­sique bien connue, la dif­frac­tion, éton­nam­ment peu évo­quée dans les articles pré­sen­tant l’appareil.

Vous avez dit “diffraction” ?

Petit rap­pel : la dif­frac­tion, c’est le phé­no­mène qui fait que quand une onde passe par un gou­let, elle s’é­vase. Ça marche pour les vagues entrant dans un port : avant les jetées, elles évo­luent toutes dans la même direc­tion mais après, elles s’é­talent laté­ra­le­ment, d’au­tant plus for­te­ment que les bouts des jetées sont proches.

Par­fait exemple de dif­frac­tion, la baie de São Mar­tin­ho do Por­to par vent du nord-ouest. — pho­to Digi­tal­Globe via Google Earth

Ça marche aus­si pour la lumière : lors­qu’un rayon lumi­neux bien propre, bien pré­cis, passe par le dia­phragme d’un appa­reil pho­to, il se trans­forme en cône d’au­tant plus large que l’ou­ver­ture est réduite.

Le résul­tat, c’est que sur le cap­teur de l’ap­pa­reil pho­to, ce rayon ne fait pas un point, mais une tache, nom­mée d’a­près George Bid­dell Airy, qui la décri­vit en 1835. Autre­ment dit, au lieu d’une image nette, l’ap­pa­reil cap­ture une image floue.

Floue, oui, mais floue comment ?

Et bien, le dia­mètre de la tache d’Ai­ry dépend de la lon­gueur d’onde, du dia­mètre du dia­phragme et de la dis­tance de pro­jec­tion. La dis­tance de pro­jec­tion est géné­ra­le­ment proche de la lon­gueur focale de l’ob­jec­tif (sauf en macro) ; le dia­mètre du dia­phragme et la lon­gueur focale sont liés par l’ou­ver­ture rela­tive, alias “nombre f”. Donc, le dia­mètre de la tache d’Ai­ry dépend de la lon­gueur d’onde et de l’ou­ver­ture de l’ob­jec­tif, point. Ça nous donne ça :

dia­mètre de la tache = 1,22 × lon­gueur d’onde × nombre f

La lon­gueur d’onde qui nous inté­resse varie, du vio­let au rouge, de 380 à 700 nm, les pics de sen­si­bi­li­té des cap­teurs pho­to étant géné­ra­le­ment situés vers 470, 555 et 610 nm. Un appa­reil pho­to voit donc trois images, avec une réso­lu­tion limite de 0,57 × nombre f pour la bleue, 0,67 × nombre f pour la verte et 0,74 × nombre f pour la rouge.

Simu­la­tion de l’i­mage d’une lumière blanche par­fai­te­ment ponc­tuelle modi­fiée par la dif­frac­tion. — image SiriusB

Ça fait beau­coup de chiffres et il existe plu­sieurs défi­ni­tions du pou­voir sépa­ra­teur, mais pour faire plus simple : le plus petit détail théo­ri­que­ment visible dans une image lorsque l’ob­jec­tif est ouvert à f/4 fait 2,3 µm s’il est bleu, 3 µm s’il est rouge. À f/8, c’est le double.

Et comme vous le savez, en pho­to­gra­phie, la pra­tique est tou­jours moins bonne que la théorie.

Le cas du P1000

On vient de le voir, à f/8, un objec­tif théo­rique par­fait ne peut pas four­nir de détails de moins de 4,6 à 6 µm. Or, f/8, c’est jus­te­ment l’ou­ver­ture maxi­male de l’ob­jec­tif du Nikon P1000 à sa plus longue focale.

En quoi est-ce important ?

Et bien, si le cap­teur prend des échan­tillons de lumière sur des dis­tances plus faibles, il n’en­re­gistre pas plus de détails.

Or, le cap­teur du Nikon P1000 fait 4,65 × 6,2 mm et four­nit des images de 4608 × 3456 px. Ses pho­to­sites font donc 1,35 µm de lar­geur. Sur les cap­teurs à matrice de Bayer, la dis­tance d’é­chan­tillon­nage en bleu est double de la taille des pho­to­sites : le cap­teur “voit” un point bleu tous les 2,7 µm. Ça dépasse très, très lar­ge­ment la réso­lu­tion maxi­male de l’op­tique… et c’est pire pour le rouge !

Autre­ment dit, la quan­ti­té de détails pré­sents dans les images de cet appa­reil ne dépend pas du tout de sa défi­ni­tion, mais de la dif­frac­tion. Il pour­rait faire 16, 20 ou 45 Mpx, il ne ver­rait pas un détail de plus.

Pour sim­pli­fier, consi­dé­rons qu’en géné­ral, la tache d’Ai­ry fera envi­ron 5 µm. Sur un cap­teur de 4,65 × 6,2 mm, le P1000 pour­ra voir… 1240 × 930 taches.

Vu qu’il faut 2 pixels pour dis­tin­guer un point de son envi­ron­ne­ment, le P1000 ne peut phy­si­que­ment espé­rer faire une image nette de plus de 2400 × 1800 pixels, soit 4 Mpx. Au-delà, on com­men­ce­ra à voir le flou dû à la diffraction.

Pho­tos à f/8, f/16 et f/32 (dia­mètres des taches d’Ai­ry pour le vert : 5,4 µm, 10,7 µm et 21,5 µm) sur un Pentax K‑1. Les pho­to­sites du K‑1 font 4,9 µm : pour un cap­teur à pho­to­sites de 1,3 µm, déca­lez de 1 IL 2/3. Vous auriez donc ces niveaux de dif­frac­tion à f/4,5, f/9 et f/13…

Quand j’é­tais aux Numé­riques, nous avions fait quelques tests visuels et étions arri­vés à une conclu­sion approxi­ma­tive mais suf­fi­sante pour se faire rapi­de­ment une idée : la dif­frac­tion limite la réso­lu­tion de l’i­mage lorsque l’ou­ver­ture est à peu près double de la taille des pho­to­sites. À sa plus longue focale, le P1000 offre une ouver­ture d’en­vi­ron six fois la taille de ses photosites !

Évolution finalement limitée

Là où ça devient drôle, c’est que le pré­dé­ces­seur de cet appa­reil, le P900, attei­gnait 2000 mm et y ouvrait à f/6,5. En pure théo­rie, un objec­tif ouvert à f/6,5 pro­jette une tache d’Ai­ry de 3,7 à 4,8 µm (du bleu au rouge).

La focale est mul­ti­pliée par 1,5, mais la réso­lu­tion limite de l’op­tique est mul­ti­pliée par 1,23. La taille du plus petit détail visible ne pro­gresse donc que d’un fac­teur 1,22. Pour ce gain de 20 % de détails, l’ap­pa­reil passe de 900 g à 1400 g, de 14 à 18 cm de lon­gueur au repos et de 599 à 1099 €.

Plus de 25 cm de lon­gueur quand on zoome : voi­là un bridge impo­sant ! — pho­to Nikon

Bien enten­du, ça n’est pas la seule évo­lu­tion. En par­ti­cu­lier, nous sommes dans le monde réel : l’ob­jec­tif du P900 n’a­vait pas les per­for­mances d’un objec­tif théo­rique par­fait et sa réso­lu­tion réelle était infé­rieure. Il est donc pos­sible que le P1000 ait, en réa­li­té, une capa­ci­té à sai­sir des petits détails net­te­ment supé­rieure à celle de son aîné.

Mais il reste que le niveau de détail res­te­ra for­cé­ment loin de ce qu’on peut espé­rer d’une image de 16 Mpx. C’est un point que la presse devrait mar­te­ler : aux longues focales du nou­veau porte-éten­dard de la gamme Cool­pix, la dif­frac­tion sera quoi qu’il arrive un fac­teur essen­tiel de la consti­tu­tion des images.