Capteur RGBW 12 : Canon aime la complexité
|Vous le savez, hormis quelques cas très pointus (Foveon étant le plus connu), les capteurs sont monochromatiques. Pour leur faire voir des couleurs, on ajoute donc une matrice de filtres colorés sur les photosites : chacun ne voit plus qu’une couleur, et le logiciel de l’appareil reconstitue les teintes manquantes en regardant les voisins — opération connue sous le nom de “dématriçage”.
Vous le savez aussi, ce principe a plusieurs effets indésirables. D’abord, chaque photosite ne capte effectivement qu’un tiers de la lumière qui arrive : le capteur est moins sensible qu’il ne pourrait. Ensuite, les couleurs reconstituées sont fatalement un peu baveuses, moins précises que la définition du capteur ne le laisserait espérer. Enfin, différents artefacts peuvent apparaître, le plus spectaculaire étant le moiré coloré.
La matrice la plus courante est celle de Bayer, à gauche ci-dessus. Le nombre de photosites verts est le double des bleus et des rouges : cela permet d’une part de rapprocher la courbe de sensibilité du capteur de celle de l’œil humain (plus sensible au vert-jaune qu’aux extrémités du spectre visible) ; d’autre part, ça permet d’avoir une capture plus précise de la luminance qu’à la chrominance — là encore, ça correspond au fonctionnement de l’œil, plus précis en noir et blanc qu’en couleur.
La matrice de Bayer a un avantage énorme : le dématriçage est facile. Sur un photosite bleu, vous savez qu’il y a toujours des photosites verts en haut, en bas, à gauche et à droite, et des photosites rouges sur les quatre diagonales. Sur les verts, vous savez que soit le bleu est sur l’axe vertical et le rouge sur l’horizontal, soit l’inverse. Les calculs pour retrouver les couleurs du pixel sont facilités et il n’y a que trois cas différents à prendre en compte.
La matrice de Bayer a cependant un inconvénient majeur : une ligne et une colonne sur deux sont totalement insensibles au bleu, les autres sont totalement insensibles au rouge. Ça n’a l’air de rien, mais c’est comme ça qu’une persienne de la bonne taille se retrouve jaune/noire/jaune/noire au lieu de blanc/noir/blanc/noir : le logiciel n’a absolument aucun moyen de deviner que sur la ligne blanche, il devrait aussi y avoir du rouge. La matrice de Bayer est donc intrinsèquement sensible aux fausses couleurs et au moiré. C’est tout le but de la matrice X‑trans, inventée par Fujifilm, que de casser cette régularité : cela complique énormément les calculs (en gros, il faut trente-six algorithmes différents selon les photosites), mais cela limite énormément les risques de fausses couleurs et de moiré.
Canon a demandé un brevet (demande US 20160309130) pour une nouvelle matrice, baptisée RGBW 12. Ça n’est pas la première matrice RGBW : Sony propose déjà, notamment pour des smartphones, des capteurs comportant des photosites panchromatiques — sensibles à l’ensemble du spectre visible. Ces photosites retrouvent ainsi la sensibilité native du capteur : en pleine lumière, ils vont saturer avant les autres, mais en intérieur ou de nuit, ils vont permettre d’avoir un signal plus propre, au moins en luminance, et donc de diminuer le bruit numérique.
Mais Canon va beaucoup plus loin. La matrice Sony a un schéma de 4×4 photosites, dont la moitié sont panchromatiques, un quart verts, un huitième rouges et un huitième bleus. Canon emploie également un motif de 4×4, mais avec trois quarts de panchromatiques, un huitième de verts, un seizième de rouges et un seizième de bleus : on n’avait pas vu des dosages aussi légers depuis le rhum dans les mojitos des voitures-bars de Thalys¹.
Compliqué et mauvais ?
Reprenons : le gros problème de la matrice de Bayer, c’est qu’une ligne sur deux est insensible au bleu, et l’autre au rouge.
Ici, ce ne sont qu’une ligne et qu’une colonne sur quatre qui sont sensibles à ces couleurs. Et une sur deux seulement distingue le vert de la lumière en général.
Bien entendu, la sensibilité de ce capteur sera extrêmement proche de celle d’un capteur noir et blanc : il devrait donc être très efficace en conditions lumineuses très délicates. Mais c’est son seul intérêt.
D’une part, il complique les calculs de dématriçage. C’est en fait l’essentiel du brevet qui est consacré à cette question : comment dématricer ce schéma foireux ? On note que les informations lumineuses ont une résolution extrêmement proche de celle du capteur (seul un pixel sur quatre demande des calculs), tandis que les informations colorées sont extrêmement compliquées à reconstruire. Canon les sépare donc pour traiter la luminance pixel par pixel et la chrominance par blocs, un peu à la façon d’un signal SECAM mais beaucoup plus violemment.
D’autre part, ceux qui s’extasient par avance devant la sensibilité de ce capteur oublient un truc : la photo comme la vidéo, c’est aussi de la couleur (oui oui, même en noir et blanc, si vous n’avez jamais ajouté un filtre orange pour densifier le ciel sur votre film 400TX ou votre Leica M Monochrom, c’est que vous n’avez jamais fait de noir et blanc sérieusement).
Or, ici, la couleur est renvoyée très, très loin. Pour capturer des photos précises, c’est mort, mais même pour les amateurs de noir et blanc, ça n’est pas gagné : le sous-échantillonnage en couleur est tel que filtrer précisément va être un casse-tête. Des branches qui dépassent sur l’horizon, par exemple ? Il ne faudra pas compter sur la composante bleue pour les extraire.
En fait, ma conviction personnelle, c’est que ce brevet décrit avant tout une exploration, qui ne vise pas d’application pratique générale. Il pourrait être adapté à des utilisations très spécifiques, comme la vidéosurveillance : les fausses couleurs n’y sont pas un problème, dès lors qu’on sait si la voiture des méchants est rouge ou grise, et le gain en sensibilité peut y être utile.
Mais si ce brevet confirme une chose, ce n’est pas que nos appareils vont avoir de nouveaux types de capteurs : Fujifilm et son X‑trans peuvent dormir tranquille. C’est plutôt que Canon étudie de plus en plus des domaines qui n’ont rien à voir avec la photographie.
¹ Ceci est un gros troll. J’assume.