Hamilton met-il mal à l’aise ?

Vingt-quatre heures après, je vais me per­mettre d’en tou­cher un petit mot : David Hamil­ton est mort. En soi, la nou­velle n’est pas cho­quante — à quatre-vingt-trois ans, cela arrive. Mais je trouve inté­res­sant d’ob­ser­ver les réac­tions après l’an­nonce de cette mort.

À tout sei­gneur, tout hon­neur : la réac­tion de la presse pho­to est mar­quante. Enfin, sa non-réac­tion. Dans les sites qui occupent mon flux RSS et dans ceux que j’ai visi­tés pour l’oc­ca­sion, je n’en ai trou­vé qu’un qui ait rap­por­té la nou­velle : L’œil de la pho­to­gra­phie. (Mise à jour dimanche matin : il y a aus­si eu Actu­Pho­to, que j’a­vais raté et qu’on m’a signa­lé après la publication.)

Vous me direz : “c’est same­di, les jour­na­listes spé­cia­li­sés fran­çais sont occu­pés à se remettre de leur soi­rée d’hier”. Peut-être, mais j’ai déjà vu des publi­ca­tions tapées un same­di, et je ne lis pas que les sites pho­to fran­çais : DP Review (qui il est vrai fait rare­ment des nécros) n’en a pas tou­ché un mot, les autres non plus, et Pho­to Archive News a même fait une brève pro­po­sant des recherches pré­pa­rées sur Fidel Cas­tro, mais rien sur Hamilton.

Ça peut paraître bizarre : la mort d’un pho­to­graphe connu, habi­tuel­le­ment, la presse spé­cia­li­sée en parle. Ici, c’est uni­que­ment la presse géné­ra­liste, et plus par­ti­cu­liè­re­ment “people”, qui semble s’y intéresser.

Pour­quoi ? Obser­vons les réac­tions du petit micro­cosme des pho­to­graphes et ama­teurs de pho­to. En remon­tant mon mur Face­book, une évi­dence : il est dif­fi­cile de ne pas évo­quer les cir­cons­tances de sa mort, et plus encore de les évo­quer sans se faire insulter.

Le défi du jour : trouver une image qui représente la partie connue de l'œuvre d'Hamilton tout en permettant de partager l'article. - photo David Hamilton
Le défi du jour : trou­ver une image qui repré­sente la par­tie connue de l’œuvre d’Ha­mil­ton tout en per­met­tant de par­ta­ger l’ar­ticle. — pho­to David Hamilton

Je vais donc prendre le risque.

Pre­mier point : Hamil­ton fai­sait l’ac­tua­li­té, depuis quelques jours, pour des accu­sa­tions de viols sur mineures de moins de quinze ans. À ma connais­sance, aucune pro­cé­dure judi­ciaire n’é­tait lan­cée contre lui ; sa pre­mière accu­sa­trice ne l’a d’ailleurs pas nom­mé, elle a évo­qué l’a­gres­sion dans un livre de mémoires et c’est ensuite et par d’autres que le nom d’Ha­mil­ton y a été mêlé. Au moins deux autres femmes ont ensuite par­lé de leur propre cas mais, à chaque fois, les faits étaient pres­crits (vingt ans après la majo­ri­té des vic­times, article 7 du CPP). Dans un pre­mier temps, Hamil­ton avait annon­cé vou­loir por­ter plainte pour dif­fa­ma­tion ; a prio­ri, cette annonce n’a pas été sui­vie d’ef­fet (j’i­ma­gine qu’on l’au­rait su s’il avait atta­qué une pré­sen­ta­trice télé), donc sur le plan judi­ciaire l’af­faire paraît défi­ni­ti­ve­ment close.

Deuxième point : sa mort, d’a­près ceux qui l’ont rap­por­tée, res­semble énor­mé­ment à un sui­cide. Déjà, vous vous en dou­tez, “ça res­semble à un sui­cide” devient immé­dia­te­ment “il s’est sui­ci­dé” sur les cla­viers de tous ceux qui en parlent. Or, on rechigne tou­jours à par­ler du suicide.

Troi­sième point : il est à peu près impos­sible, si j’en juge par l’é­tat de mon mur Face­book, de par­ler de ça sans se faire insulter.

Il y a ceux qui pensent qu’il était cou­pable (ce qui est leur droit) et l’af­firment haut et fort (ce qui ne l’est pas, seuls les juges peuvent se pro­non­cer sur la culpa­bi­li­té de quel­qu’un), qui vont jus­qu’à atta­quer qui­conque rap­pele qu’il reste pré­su­mé inno­cent tant qu’il n’est pas condam­né. Pour eux, son sui­cide est un aveu : s’il était inno­cent, il n’au­rait rien à craindre de la jus­tice, les inno­cents ne se sui­cident pas.

Il y a ceux qui pensent que l’ac­cu­sa­tion était un coup publi­ci­taire (ce qui est leur droit) et l’af­firment haut et fort (ce qui, selon la façon dont ils l’af­firment, est au mieux de la dif­fa­ma­tion, au pire de l’in­jure), et poussent jus­qu’à atta­quer qui­conque laisse entendre que tout de même, ça ferait beau­coup d’en­nuis pour une simple opé­ra­tion com­mer­ciale. Ils voient d’ailleurs dans son sui­cide la preuve de son inno­cence : s’il était cou­pable, ça serait un monstre psy­cho­pathe, et les psy­cho­pathes ne se sui­cident pas.

Petit rap­pel : Hamil­ton est pré­su­mé inno­cent, et le res­te­ra. En droit, il n’est pas vio­leur d’en­fants. Point. Et dans le même temps, ses accu­sa­trices sont pré­su­mées inno­centes de toute dif­fa­ma­tion, et le res­te­ront de même : en droit, on ne peut pas par­tir du prin­cipe qu’elles mentent.

Ça res­semble à un exer­cice de dou­ble­pen­sée, mais ça n’en est pas un. On ne dit pas qu’il est à la fois inno­cent et cou­pable, non plus qu’elles sont à la fois vic­times et calom­nieuses. On sait très bien qu’une de ces deux solu­tions, au moins, est fausse. Elles peuvent même l’être toutes deux : on a déjà vu des cas déli­cats au plan moral, où une per­sonne pense sin­cè­re­ment avoir l’as­sen­ti­ment d’une autre qui, en fait, n’ose pas expri­mer son refus. Mais les pré­somp­tions doivent aller dans ce sens : trai­ter Hamil­ton de vio­leur n’est mora­le­ment pas plus accep­table que de trai­ter ses accu­sa­trices de vipères.

Ça, par exemple, ça passe pas sur Facebook. - photos David Hamilton
Ça, par exemple, ça passe pas sur Face­book. — pho­tos David Hamilton

Hamil­ton a fait une bonne part de sa répu­ta­tion dans la pho­to éro­tique de jeunes filles, et fit vendre des palettes entières d’ob­jec­tifs soft focus aux ama­teurs qui sou­hai­taient l’i­mi­ter. Il a tou­jours eu une répu­ta­tion sul­fu­reuse et a pu capi­ta­li­ser des­sus — ce qui, entre nous, en dit bien plus long sur la socié­té que sur lui-même. Mais ça ne prouve rien, ni dans un sens, ni dans l’autre.

L’ur­gence, dans ces cas-là, c’est de refu­ser de juger sans avoir tous les élé­ments. Si nous sommes des êtres intel­li­gents, nous devons recon­naître qu’il est pos­sible qu’­Ha­mil­ton soit inno­cent, qu’il est pos­sible qu’il soit cou­pable, et que nous n’au­rons jamais de cer­ti­tude abso­lue sur le dérou­le­ment exact des faits, son degré de res­pon­sa­bi­li­té dans leur dérou­le­ment et son niveau de com­pré­hen­sion de ceux-ci.

Ce qui est sûr : un pho­to­graphe au talent recon­nu est mort, et il serait tout à fait nor­mal que la presse pho­to en parle. Qu’il s’a­gisse de sa répu­ta­tion sul­fu­reuse ou des accu­sa­tion récentes, on ne peut pas igno­rer le reste, mais on ne peut pas non plus insul­ter qui que ce soit sans preuve.