Et si on butait la CF ?
|Vous avez peut-être noté qu’à la Photokina, la CompactFlash Association a réussi à faire parler d’elle en annonçant le format de cartes CFexpress. Et vous avez peut-être eu l’impression d’une petite redite. C’est normal : le boulot de la CFA semble, ces dernières années, se borner à multiplier les formats.
Un standard obsolète depuis dix ans
Petit rappel : la CompactFlash utilisait un port parallèle. En 1994, cette solution était le standard universel pour tous les périphériques de stockage, et ça permettait aux cartes CF d’être connectées directement dans un port PCMCIA (via un adaptateur passif, extrêmement peu coûteux), avec les performances et la praticité des disques durs externes.
Le temps a passé, et les ports série ont très, très largement pris l’ascendant sur les ports parallèles. Un dernier coup de rein, en 2010, a permis aux CF d’atteindre un plafond théorique à 167 Mo/s ; depuis, le format n’a subi aucune évolution. Or, 167 Mo/s, aujourd’hui, ça n’a rien d’extraordinaire : c’était à peu près la bande passante de la toute première version du Sata, en 2003, et à la même époque le bus PCI Express permettait déjà 250 Mo/s par ligne.
On est donc tous d’accord : le format CompactFlash est moribond. En 2012, le Nikon D4 fut le premier reflex à utiliser le nouveau format XQD : celui-ci, abandonnant le port PCMCIA au profit du PCI Express (transmission série, évidemment), offrait une plus grande marge de progression pour les vitesses de transfert — la version actuelle permet 1 Go/s, mais la mémoire ne suit pas et cette vitesse reste pour l’instant théorique.
Pourtant, on trouve encore plein d’appareils qui acceptent principalement ou exclusivement des cartes CF. Les derniers Canon EOS 5D (S et IV) et Nikon D810, par exemple, bouffent de la CF ou de la SD… UHS‑I, bridée à 104 Mo/s !
Réveillez-vous, les gars, ça fait deux ans que Samsung et Fujifilm sont passés à la SD UHS-II, qui ridiculise vos putains de CompactFlash, et sur des boîtiers autrement moins chers !
Ce n’est pas le pire
Mais au-delà de la terminaison des cartes CF proprement dites, je veux ici aller plus loin. Butons également la CompactFlash Association (CFA). Définitivement, interdisons-lui de publier des “normes” et de s’occuper de quoi que ce soit.
La raison de cette ire est simple : l’annonce de septembre a été celle de trop.
En 2010, la CFA a adopté le format XQD, lancé par Nikon et Sony autour du bus PCI Express. Il n’a pour l’heure pas séduit grand-monde : il était inévitablement incompatible avec le format CF, seul Nikon l’a adopté (et uniquement sur les D4 et D5), ainsi que quelques fabricants de caméras professionnelles qui en général offrent le choix entre XQD et d’autres supports.
Le problème, c’est la CFA avait déjà créé le standard CFast, basé sur un autre port série, le Sata. Lancées dès 2009, les CFast n’ont intéressé à peu près personne jusqu’à la version 2, fin 2012, qui permettait de grimper à 600 Mo/s ; Arri s’y mit donc, suivi par Blackmagic Design puis par Canon, toujours sur des produits vidéo professionnels — jusqu’à l’EOS 1D X Mk II, premier vrai appareil photo utilisant la CFast.
La CFA développe donc parallèlement deux standards de cartes, visant exactement les mêmes marchés, reposant sur les mêmes principes (mais avec un avantage aux XQD en matière de bus), rigoureusement incompatibles, tout en fourguant essentiellement ses vieilleries parallèles totalement dépassées.
Nikon a choisi l’un, Canon l’autre ; comme ils ne sont pas totalement débiles, ils ont surtout généralisé la SD comme dénominateur commun, mais refusent d’adopter les dernières normes de SD — j’imagine que leur argument doit être qu’un pro, de toute façon, il est équipé de XQD/CFast et n’est donc pas intéressé par la SD UHS-II.
Et là, donc, tranquillou, la CompactFlash Association annonce la CFexpress.
La CFexpress repose sur le bus PCI Express, comme la XQD donc, mais multipliant les lignes de transfert pour permettre un débit maximum théorique de 8 Go/s. La CFA n’a pas annoncé les spécifications physiques de ces cartes, mais je serais extrêmement étonné qu’elles soient rétro-compatibles avec les XQD et il est acquis qu’elles ne le seront pas avec les CFast.
Voilà donc une association de standardisation qui, en six ans, aura supporté trois formats de cartes incompatibles avec les mêmes objectifs et pour les mêmes marchés.
Pendant ce temps, la SD Association, elle, continue à développer discrètement un unique format, avec à chaque fois une excellente rétro-compatibilité : les dernières cartes UHS-II (reconnaissables à leur II sur la face) fonctionnent parfaitement dans les appareils qui ne gèrent que les cartes SDHC de base, et un Fujifilm X‑T2 est parfaitement heureux si on lui met une vieille SD tout court — qu’il annoncera peut-être fièrement pouvoir remplir en un seul déclenchement, je sais pas, j’ai plus vu de SD tout court depuis des lustres.
À ce stade, une réaction s’impose : euthanasier la CompactFlash Association, abandonner en vrac tous ses formats et demander à la SD Association de réfléchir à la prochaine version, en visant directement 1 ou 2 Go/s.
NB : cet article ignore délibérément les cartes UFS. Celles-ci sont censées être plus performantes que les SD, mais les seules UFS actuelles, proposées par Samsung, ne sont que marginalement supérieures aux Micro-SD UHS-II. Pas la peine de revivre une guerre des formats pour ça, donc.