Obturateur électronique pour le PhaseOne 100MP
|Vous vous souvenez du PhaseOne XF 100MP ? Et bien, il a été mis à jour. Avec une nouvelle fonction inédite dans l’univers du moyen-format : l’obturateur électronique.
Tradition mécanique
En moyen-format numérique, traditionnellement, on utilisait des capteurs CCD. Vous m’avez souvent vu dire que les CCD ont un obturateur électronique global naturel, mais ça n’est pas tout à fait vrai : ça n’est valable que pour les CCD du type interligne, où une colonne sur deux est aveugle et sert à transférer les charges vers l’extérieur du capteur. Les CCD interlignes étant omniprésents sur les produits grand public, la précision n’était habituellement pas nécessaire ; mais les moyens-formats ne sont pas des produits grand public, et ils utilisaient des capteurs CCD du type “full frame” (qui n’est ici pas une taille, mais une technologie). Leur avantage ? Toute la surface est sensible. Leur inconvénient ? Ils sont sensibles en permanence. Comme une pellicule, il faut donc les protéger de la lumière jusqu’au début de la prise de vue, puis pendant toute la durée de la lecture de l’image capturée.
Puis, les moyens-formats sont passés au Cmos, et cette année a vu naître le premier Cmos “full frame” 645 (ici, je parle de la taille, pas de la technologie), le fameux 100 Mpx qui équipait le PhaseOne.
Cependant, les appareils continuaient à faire confiance à leurs obturateurs mécanique, sans doute un peu par conservatisme mais aussi parce que celui-ci est une technologie bien connue et parfaitement maîtrisée. En outre, la lecture électronique d’un capteur Cmos se fait ligne par ligne, entraînant un décalage entre haut et bas de l’image — typiquement 1/30 s. Un obturateur à rideaux ayant couramment un temps de transfert de l’ordre de 1/100 s et un obturateur central assurant une parfaite synchronisation sur l’ensemble de la surface sensible, ceux-ci sont généralement préférables : ils limitent, voire éliminent les effets de “rolling shutter” — des déformations de l’image en cas de mouvements de l’appareil ou du sujet.
Les appareils hybrides ont rapidement trouvé un avantage à l’obturateur électronique : le silence de fonctionnement. Pas essentiel sur un reflex (le miroir fait de toute façon plus de bruit), cet argument devenait utile sur les appareils compacts. Cela fait donc quelques années que les hybrides proposent le choix entre obturateur électronique et mécanique, tandis que les reflex et les moyens-formats restent fidèles aux seuls systèmes mécaniques.
Voici donc que PhaseOne ajoute un mode électronique à son dos-phare.
Les avantages cités par la marque sont bien sûr l’absence totale de mouvement mécanique (et donc le silence parfait de la prise de vue), mais aussi la gestion du flux de travail vidéo (plus d’interruption au déclenchement) et “l’intégration de la référence noire”. Je ne suis pas sûr de comprendre à quoi précisément ils font allusion : traditionnellement, la “référence noire” est une image prise obturateur fermé, permettant de cartographier le bruit numérique aux conditions courantes pour mieux l’extraire de l’image exposée ; mais cette référence noire-ci ne peut être faite qu’en fermant un obturateur physique et je soupçonne qu’ils parlent plutôt ici du niveau du noir, effectivement ajustable en temps réel sans demander de réinitialisation du capteur si celui-ci fonctionne en obturation intégralement électronique.
Surtout utile… sans boîtier !
Mais selon moi, le vrai avantage est ailleurs, bien que PhaseOne ne le cite qu’en passant, presque par accident : l’obturateur électronique va grandement simplifier le travail… sans boîtier.
Notons que la traduction française “appareil technique” est perfectible. “Technical camera”, en anglais, ça se dit “chambre” en français.
Le XF est un système modulaire et le dos lui-même, proprement baptisé IQ3 100MP, peut tout à fait être utilisé indépendamment, en le montant sur un autre système moyen-format existant. On pense en particulier aux chambres à soufflet permettant de monter à peu près n’importe quel objectif sur à peu près n’importe quel dos dans à peu près n’importe quelle position, comme en font Sinar, Alpa, Linhof, et d’autres. D’utilisation très particulière, en paysage et en architecture principalement, ces chambres sont un peu complexes (pour apprendre à s’en servir, il faut commencer par arriver à écrire “Scheimpflug” sans faute) mais elles permettent d’obtenir des photos impossibles à réaliser autrement.
Si beaucoup d’objectifs conçus pour elles ont un obturateur central, ça n’est pas systématique, notamment avec les montages les plus exotiques. Des fabricants proposent donc des blocs contenant uniquement un obturateur à rideaux, à fixer entre la monture et le dos pour ajouter un obturateur mécanique au système. Évidemment, c’était pratique pour les magasins de film, qu’on remontait à la main entre deux expositions ; ça l’est beaucoup moins en numérique, où l’intercommunication et l’intégration des différents éléments sont très utiles.
Typiquement, pour utiliser ce genre de systèmes, il fallait activer la visée sur écran (ou placer un dépoli), régler la position des différents éléments, fermer l’obturateur, réinitialiser le dos (ou l’installer à la place du dépoli), régler et déclencher l’obturateur, puis faire lire l’image capturée pour enfin pouvoir passer à la suite.
L’obturateur électronique du IQ3 100MP répond à ce problème : avec lui, n’importe quel objectif monté sur n’importe quel soufflet fait l’affaire, la question de la prise de vue étant intégralement gérée depuis le dos.
C’est évidemment une utilisation marginale (et quand on parle d’utilisation marginale dans l’univers du moyen-format, vous imaginez ce que ça veut dire). Mais pour le coup, les gens qui jouent à ça vont sans doute voir l’IQ3 100MP comme un messie qui pourrait bouleverser leur existence.
J’en profite pour signaler qu’ici, nous avons affaire à un vrai obturateur électronique. Ce n’est pas la même chose que le premier rideau électronique ajouté sur le Pentax K‑1 la semaine passée, qui réduit légèrement le bruit de déclenchement et vise surtout à éliminer les vibrations. Je compte sur les confrères un peu pressés qui ont utilisé l’expression “obturateur électronique” à cette occasion pour corriger.