No Köln today

Il y a près de huit ans, j’é­tais dans un train vers la char­mante ville de Köln, que j’ap­pe­lais naï­ve­ment du joli nom inter­na­tio­nal de Cologne avant que faire sa connais­sance me convainque que son bru­tal nom ger­ma­nique lui allait beau­coup mieux. J’é­tais arri­vé sur Les Numé­riques un an plus tôt et c’é­tait ma pre­mière Pho­to­ki­na, où j’ac­com­pa­gnais Renaud (rédac-chef de Focus Numé­rique), un D90 tout neuf (pre­mier reflex capable de fil­mer) et un mono­pode plus lourd que bien des trépieds.

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Une semaine érein­tante mais exci­tante, avec plein de nou­veau­tés, plein de décou­vertes, plein d’am­poules aux pieds (c’est pas vrai, j’a­vais pris mes chaus­sures de ran­do), un Luc Saint-Élie encore tout exta­tique de pré­sen­ter le G1, tout ça.Il y a six ans, nous avons décou­vert la seconde salle de presse, celle qui n’est pas sur tous les plans et qui per­met de gagner trois kilo­mètres par jour, mais les illu­mi­na­tions étaient un peu plus ternes : hor­mis le Fuji­film X100, aucune annonce notable n’a­vait mar­qué l’ou­ver­ture (je mets de côté le SD1, par pure pitié). Il y a quatre ans, nous voyions débar­quer les pre­miers 24×36 mm numé­riques à moins de 2000 € et Lei­ca pas­sait enfin au Cmos, mais nous le savions en fait avant de venir. Il y a deux ans, un dépla­ce­ment orga­ni­sé à la der­nière seconde ne me lais­sait deux jours et demi sur place avec les gens du Monde de la Pho­to, pour un salon presque tota­le­ment dépour­vu d’an­nonces — mais sa super­star, le Sam­sung NX1, reste à mon avis le meilleur com­pact à objec­tifs inter­chan­geables jamais pro­duit, bien que ses géni­teurs l’aient assas­si­né discrètement.

Tout ça pour dire que, depuis 2008, la Kina est l’é­vé­ne­ment qui marque ma ren­trée des années paires.

Et cette année, je n’y suis pas.

Ce matin, j’ai vu sur Face­book mes petits cama­rades par­tir de Paris (sauf les plus cou­ra­geux, qui ont fait le voyage hier). Et bien sûr, ça fait un petit quelque chose, mais fon­da­men­ta­le­ment, ça ne me man­que­ra pas.

Cinq raisons de ne pas regretter la Kina

En fait, en 2014, déjà, je n’é­tais pas convain­cu que le dépla­ce­ment en vaille la peine.

D’a­bord, la Pho­to­ki­na n’est plus l’en­droit où décou­vrir les nou­veau­tés. Il y a huit ans, on avait vu les signes pré­cur­seurs : le D90, par exemple, avait été pré­sen­té en août, et j’é­tais par­ti à Köln avec un exem­plaire tout frais dans ma besace. Aujourd’­hui, c’est géné­ra­li­sé : la plu­part des pro­duits sont annon­cés deux ou trois semaines avant, notam­ment pour per­mettre aux maga­zines de bou­cler leurs numé­ros de ren­trée avec le maté­riel dedans. En 2008–2010, c’é­tait encore l’oc­ca­sion de tou­cher pour la pre­mière fois des pro­duits que nous n’a­vions vus que dans des Power­point et sur des pho­tos construc­teur ; mais depuis, même les pré-annonces per­mettent géné­ra­le­ment de tri­po­ter un prototype.

Et même lors­qu’une annonce offi­cielle se fait en ouver­ture de la Kina, les construc­teurs ont savam­ment orches­tré leur com­mu­ni­ca­tion avec l’aide géné­reuse de Pho­to­ru­mors : par exemple, Olym­pus n’a pas encore annon­cé offi­ciel­le­ment son E‑PL8, mais il serait extrê­me­ment éton­nant qu’il ne soit pas le sujet de leur confé­rence de ce soir et il serait encore plus éton­nant qu’il ait des carac­té­ris­tiques inat­ten­dues — et je ne vais même pas vous dire à quel point les fuites des nou­veaux Pana­so­nic semblent venir direc­te­ment d’Ōsaka.

La pré­sen­ta­tion du G1 par Luc St-Élie, grand moment de rigo­lade et de tech­no­phi­lie de la Kina 2008.

Ensuite, les inter­views des construc­teurs sont elles aus­si de plus en plus ver­rouillées. Il doit y avoir trois ou quatre ans que je n’ai pas obte­nu d’un Japo­nais (ou d’un Alle­mand, d’ailleurs) une réponse qui ne fût pas dans le com­mu­ni­qué de presse ou qui ne cou­lât pas de source. Se taper deux heures d’in­ter­view pour, à la sor­tie, avoir le choix entre publier quatre pages de bana­li­tés et éla­guer pour publier à peine un enca­dré inté­res­sant, ça n’est pas seule­ment pas ren­table pro­fes­sion­nel­le­ment, c’est aus­si las­sant humai­ne­ment. Là encore, c’est une évo­lu­tion récente : il y a quelques années, la Kina était l’oc­ca­sion de dis­cu­ter direc­te­ment avec des ingé­nieurs, qui par­laient sou­vent de ce qui les bot­tait ; par la suite, ils ont été cor­na­qués par des com­mu­ni­cants qui enca­draient les débor­de­ments, et lors de ma der­nière grosse inter­view on m’a fait com­prendre après deux ques­tions que non mais en fait ils sont plus là pour par­ler du mar­ché, pour les ques­tions tech­niques envoyez-nous un mail et on verra.

Cette année, la Kina pro­met peu de sur­prises, avec des appa­reils essen­tiel­le­ment déri­vés de ceux de l’an­née pré­cé­dente — à part chez Has­sel­blad, qui a déjà fait ses annonces, Fuji­film, à qui la rumeur prête un hybride moyen-for­mat, et peut-être Lei­ca, qui pour­rait annon­cer un nou­veau T. Pis : des pro­duits très atten­dus pour­raient ne pas y être — depuis quelques semaines, les sites de rumeurs ont per­du trace de l’O­lym­pus E‑M1 II par exemple. En fait, l’in­dus­trie japo­naise res­sent encore les effets du séisme de début d’an­née et, comme après le com­bo tsu­na­mi-acci­dent nucléaire de 2011, des retards de plu­sieurs mois sont obser­vés çà et là. J’es­père de tout cœur me plan­ter (sur­tout pour l’E-M1 II), mais j’ai peur que les annonces effec­tives soient moins appé­tis­santes que ce qu’on espé­rait encore il y a un ou deux mois.

Stig Niel­san, un des der­niers à avoir répon­du sans trop de langue de bois à des ques­tions de jour­na­listes spécialisés.

Après, il y a d’autres aspects, moins pro­fes­sion­nels, qui font que je suis bien chez moi.

Le pre­mier, c’est que Köln n’est pas, je trouve, une ville agréable. Elle est sym­pa comme carte pos­tale, la cathé­drale est impres­sion­nante, mais dès qu’on sort du centre, c’est zone indus­trielle — et même dans cer­tains coins du centre : l’im­mé­diat envi­ron­ne­ment de la gare est aus­si sexy que le pour­tour de celle d’Aus­ter­litz à Paris. Certes, il y a tou­jours une bonne ambiance pen­dant la Kina, parce que les jour­na­leux et repré­sen­tants des construc­teurs fran­çais finissent par se croi­ser dans les bis­trots le soir et que ce sont pour beau­coup des gens pas­sion­nés, mais la ville elle-même n’y est pour rien.

Pis, Köln est en Alle­magne, mais il est qua­si­ment impos­sible d’y trou­ver une bière cor­recte. La Kölsch, spé­cia­li­té locale, est remar­quable par son absence qua­si-totale de goût : c’est une blonde légère, pas extra­or­di­nai­re­ment frui­tée et éton­nam­ment dépour­vue d’a­mer­tume, qui a pour prin­ci­pal effet de vous envoyer dans le bar à la recherche des toi­lettes après vous avoir don­né l’im­pres­sion que vous ne buviez rien. Quant aux sau­cisses-purée, j’ai des confrères qui en sont fans, mais c’est pas l’i­dée que je me fais d’un voyage gas­tro­no­mique. (Glo­ba­le­ment, mon palais est triste en Alle­magne, faut reconnaître.)

Bref, le voyage n’est plus ren­table pro­fes­sion­nel­le­ment (et je n’al­lais cer­tai­ne­ment pas le faire à mes frais), et pas for­cé­ment super agréable (bos­ser douze heures par jour pen­dant cinq jours, ça fatigue). Les soi­rées vont me man­quer, mais pour le reste, je suis convain­cu que je pour­rais tra­vailler aus­si bien d’i­ci si quel­qu’un me deman­dait d’é­crire quelque chose.