Périscope Apple : ceci n’est pas un zoom

Comme d’ha­bi­tude, les rumeurs autour des pro­chains télé­phones d’Apple enflent tout au long de l’an­née. Cette semaine, c’est un “zoom révo­lu­tion­naire” que la marque aurait “inven­té” pour pro­po­ser un vrai zoom optique sur son pro­chain appa­reil. La source reprise par tout le monde, appa­rem­ment, est un article d’Apple Insi­der, qui avait mal com­pris le bre­vet amé­ri­cain 9 316 810 récem­ment accor­dé à la marque, inti­tu­lé “sys­tème optique d’ap­pa­reil pho­to à télé­ob­jec­tif replié”.

Schéma de téléobjectif périscopique breveté par Apple. - extrait du brevet US 9316810, traduit, adapté et colorisé par mes soins
Sché­ma de télé­ob­jec­tif péri­sco­pique bre­ve­té par Apple. — extrait du bre­vet US 9 316 810, tra­duit, adap­té et colo­ri­sé par mes soins

Un pre­mier truc doit vous mettre la puce à l’o­reille. Apple parle de télé­ob­jec­tif, pas de zoom. Certes, le mot “zoom” se trouve plus d’une cen­taine de fois dans le texte, mais qua­si­ment tou­jours dans des para­graphes de ce style :

Dans cer­taines implé­men­ta­tions, le sys­tème optique de télé­ob­jec­tif replié peut éga­le­ment inclure un méca­nisme de mise au point manuel et/ou auto­ma­tique pour four­nir une pos­si­bi­li­té de zoo­mer pour foca­li­ser une scène objet de l’in­fi­ni (dis­tance de la scène objet à l’ap­pa­reil pho­to ≥ 20 mètres) à une dis­tance objet faible (≤ 1 mètre).

Bien enten­du, il y a des varia­tions, comme ce superbe :

Les tableaux 2A-2E four­nissent des exemples de valeurs de dif­fé­rents para­mètres optiques et phy­siques pour un exemple d’im­plé­men­ta­tion d’un appa­reil pho­to 200 et d’un sys­tème optique 210 comme illus­tré dans les fig. 3A et 3B. Dans au moins cer­taines implé­men­ta­tions, le sys­tème 210 peut com­por­ter un méca­nisme de zoom pour foca­li­ser dyna­mi­que­ment une scène objet de l’in­fi­ni (dis­tance objet ≥ 20 mètres) à une dis­tance objet proche, < 500 mm. Les tableaux 2A-2E peuvent être consi­dé­rés comme four­nis­sant une pres­crip­tion optique pour un sys­tème optique à zoom 210. Dans cet exemple d’im­plé­men­ta­tion, le sys­tème optique 210 peut inclure un groupe de len­tilles de mise au point GR1 com­pre­nant les élé­ments optiques L1 et L2 qui peut être dépla­cé ou action­né, en même temps que le sys­tème d’ou­ver­ture le long de AX1, pour mettre au point une scène objet située à < 500 mm.

J’ar­rête là, mais vous avez com­pris deux choses : d’une, les bre­vets sont écrits dans une langue à eux qui n’a qu’un vague rap­port avec l’an­glais stan­dard, et il est extrê­me­ment facile de com­prendre un truc de tra­vers (donc, quand on écrit dans une autre langue sur le même bre­vet, il est indis­pen­sable de remon­ter à la source pour s’as­su­rer qu’on n’est pas en train de mal tra­duire un truc mal com­pris par le pre­mier rédacteur).

De deux, ici, on ne parle de zoom que pour la mise au point, jamais pour chan­ger de lon­gueur focale.

Zoomer pour mettre au point ?

Pour com­prendre, il faut com­men­cer par com­prendre ce qu’est la mise au point.

D’un monde en trois dimen­sions, un objec­tif crée une image en trois dimen­sions. Le cap­teur, lui, est plan : il extrait donc une “tranche” de l’i­mage, à une dis­tance don­née, et tout ce qui est plus près ou plus loin est flou.

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Curieu­se­ment, cette image devrait être aus­si facile à dis­tin­guer pour les dal­to­niens que pour les autres, si ce n’est plus. 🙂

Mettre au point, c’est pla­cer le cap­teur à l’en­droit où se forme l’i­mage du sujet qu’on vise.

Le cas le plus simple est l’ob­jet à l’in­fi­ni, la Lune par exemple (rayons vio­lets). L’i­mage d’un objet à l’in­fi­ni se forme à la dis­tance focale de l’ob­jec­tif : donc, si vous pla­cez le cap­teur à 200 mm du centre optique d’un 200 mm, vous aurez une image nette de la Lune. (Déter­mi­ner le centre optique est un autre pro­blème, sur­tout sur un télé­ob­jec­tif, mais ce n’est pas le sujet du jour.)

L’i­mage des objets plus proches (rayons rouges) se forme plus loin. Donc, pour faire une image d’un objet plus près que l’in­fi­ni, la solu­tion la plus simple est d’é­loi­gner le cap­teur. Par exemple, vous vous arran­gez pour que le centre optique de votre 200 mm se retrouve à 230 mm du cap­teur et l’i­mage que vous aurez nette sera celle d’un sujet plus proche.

Mais ça pose un autre pro­blème : quand on éloigne cap­teur et objec­tif, on aug­mente l’en­com­bre­ment. Et sur les com­pacts et les smart­phones, l’en­com­bre­ment, c’est l’en­ne­mi public numé­ro 1.

Mais…

Au milieu, la mise au point se fait en allongeant l'appareil ; en bas, en réduisant la focale (autrement dit, en "dézoomant" un peu).
Au milieu, la mise au point est rap­pro­chée en éloi­gnant le cap­teur et l’ob­jec­tif ; en bas, en rédui­sant la focale (autre­ment dit, en “dézoo­mant” un peu).

Mais si on réduit la focale sans rien chan­ger d’autre, le cap­teur se retrouve plus loin que la dis­tance focale : il cap­ture donc l’i­mage d’un objet plus proche. Véri­fiez : si vous res­tez à 200 mm mais que vous rédui­sez la focale à 175 mm, ça marche comme d’é­loi­gner le cap­teur à 230 mm.

En fait, la qua­si-tota­li­té des objec­tifs à mise au point interne (ceux qui ne changent pas de lon­gueur pen­dant la mise au point) fonc­tionne ain­si : ce sont tech­ni­que­ment des zooms, qui réduisent leur focale pour sélec­tion­ner un objet plus proche que l’in­fi­ni. Il y a quelques années, j’a­vais ain­si vu un bridge très fier d’an­non­cer ses 1200 mm à fond de zoom, dont j’a­vais mesu­ré la focale équi­va­lente à envi­ron 900 mm : le mur du labo n’é­tait qu’à une quin­zaine de mètres. En blo­quant la mise au point à l’in­fi­ni, le champ était net­te­ment plus étroit qu’en fai­sant la mise au point sur le mur… mais l’i­mage floue ne per­met­tait plus de cal­cu­ler pré­ci­sé­ment la focale équivalente !

Longueur focale ou mise au point ?

Pour faire varier la mise au point sans chan­ger la lon­gueur totale, il suf­fit en fait d’une faible réduc­tion de la lon­gueur focale, donc d’un zoom extrê­me­ment réduit. Pour réa­li­ser une mise au point interne sur un télé­ob­jec­tif, on passe d’une confi­gu­ra­tion “fort télé­ob­jec­tif” à une confi­gu­ra­tion “à peine moins fort télé­ob­jec­tif” ; par exemple, un 200 mm fera le point à moins de 2 m en rédui­sant sa focale à 175 mm.

Pour un zoom optique, on doit en revanche pas­ser d’une confi­gu­ra­tion “grand-angle” à une confi­gu­ra­tion “télé­ob­jec­tif”. La pre­mière implique un objec­tif gros­so modo bâti avec une par­tie avant diver­gente et une par­tie arrière conver­gente, la seconde implique le contraire. Les zooms optiques ont donc, pour sim­pli­fier, un groupe convergent qui se balade entre l’a­vant et l’ar­rière pen­dant le chan­ge­ment de focale.

Zoom périscopique du grand-angle au téléobjectif. - extraits du brevet US 2015/0042870, couleurs par mes soins
Zoom péri­sco­pique du grand-angle au télé­ob­jec­tif. — extraits de la demande de bre­vet US 2015/0042870, cou­leurs par mes soins

Dans le cas d’un objec­tif péri­sco­pique, chose qui était nou­velle il y a trois ou quatre décen­nies, le miroir ou le prisme ren­voyant l’i­mage doit être pla­cé avec soin pour per­mettre au groupe cen­tral de se dépla­cer d’un bout à l’autre. Les zooms péri­sco­piques capables de pas­ser du grand-angle au télé sont donc très asy­mé­triques, comme celui mon­tré ci-des­sus : en géné­ral, ils n’ont qu’une len­tille devant le ren­voi, et tout le reste est après, avec des cou­lis­se­ments de plu­sieurs cen­ti­mètres pour les len­tilles centrales.

Dans le bre­vet de la semaine, on voit que la for­mule est symé­trique : deux len­tilles avant le ren­voi, deux après — et ce, dans cha­cune des 21 implé­men­ta­tions proposées !

Deux implémentations du téléobjectif périscopique. - extraits du brevet US 9316810
Deux implé­men­ta­tions du télé­ob­jec­tif péri­sco­pique, uti­li­sant un miroir ou un prisme. — extraits du bre­vet US 9 316 810, cou­leurs par mes soins

On voit éga­le­ment bien, notam­ment sur l’im­plé­men­ta­tion 3, que les deux len­tilles avant forment un ensemble convergent (la pre­mière est très for­te­ment conver­gente, la sui­vante légè­re­ment diver­gente) et que les deux len­tilles arrière forment un ensemble divergent (la troi­sième est diver­gente, la qua­trième semble à peine conver­gente : c’est sur­tout une asphé­rique biface très com­plexe qui est là pour contrô­ler les aber­ra­tions). On a donc la confi­gu­ra­tion typique d’un télé­ob­jec­tif, convergent devant et divergent derrière.

Et comme il n’est pas pos­sible de faire pas­ser une len­tille d’un côté à l’autre, cet objec­tif res­te­ra tou­jours un télé­ob­jec­tif. En fait, lorsque la dis­tance focale est évo­quée dans la des­crip­tion du bre­vet, elle est tou­jours de l’ordre de 14 mm. Pour un cap­teur 1/3″ (cou­rant sur les smart­phones), ça fait une focale équi­va­lente de 100 mm ; pour un cap­teur 1/2,3″ (quelques smart­phones haut de gamme), ça fait un 80 mm. La très faible lati­tude de mou­ve­ment des len­tilles per­met de faire varier la mise au point, mais elle ne suf­fit pas à faire bas­cu­ler l’ob­jec­tif dans une confi­gu­ra­tion grand-angle.

Ajou­tons les rumeurs per­sis­tantes évo­quant un appa­reil à deux objec­tifs, et je mise­rais bien plus volon­tiers sur un iPhone 7 bifo­cal (genre 28 mm et 100 mm, sans rien entre) que sur un zoom ; et si zoom il y a, je pense qu’il sera élec­tro­nique, avec un saut qua­li­ta­tif plus ou moins impor­tant entre le stan­dard (essen­tiel­le­ment obte­nu par agran­dis­se­ment du centre du grand-angle) et le por­trait (réa­li­sé avec le seul téléobjectif).

En tout cas, ce bre­vet n’est clai­re­ment pas celui d’un zoom. Si Apple doit effec­ti­ve­ment faire un zoom péri­sco­pique, il ne res­sem­ble­ra pas du tout à ça. D’ailleurs, j’ai oublié de vous dire : la demande de bre­vet US 2015/0042870 que j’ai uti­li­sée plus haut pour vous mon­trer à quoi res­semble un zoom péri­sco­pique, elle vient de chez eux.