Le shetland, le shire et le capteur 1″
|Vous le savez peut-être, mes parents habitent à la campagne — par ici, certains diraient même “à la montagne”. Dans leur région, il y a pas mal de canassons, de toutes tailles, de toutes couleurs, de toutes corpulences. Ma mère avait un cheval jusqu’à assez récemment et en fait, je crois que d’une certaine manière j’ai été sur un cheval avant même qu’elle sache que j’allais exister.
Il y a des grands et des petits chevaux (qu’on appelle couramment “poneys”). Les grands chevaux sont valorisants, ils courent vite ou tirent fort, ils sont impressionnants, tout ça. Les petits chevaux sont amusants, ils se faufilent sous les branches d’arbres et permettent de laisser les toiles d’araignées pour les grands chevaux qui arrivent derrière, tout ça.
Les possesseurs de certains grands chevaux, en particulier de pur-sang anglais, on tendance à voir avec dédain les utilisateurs de poneys : pour eux, un cheval, ça fait 1,70 m au garrot, ça fait des pointes à 60 km/h et puis c’est tout, le reste n’est que du poney pour le bas-peuple.
Les gens normaux, eux, sont bien contents d’avoir des petits poneys pour mettre leurs enfants dessus, ils ont moins peur quand leur progéniture tombe et ça peut être tenu en laisse pour les balades en forêt. Mais le poney a tout de même un inconvénient : il n’est pas extrêmement costaud (en fait, par rapport à son poids, un shetland est un des trucs qui portent le plus lourd sans broncher, mais passons), et mettre un adulte dessus peut être comique pour les observateurs mais ni le poney, ni le cavalier n’apprécient.
Cependant, un adulte qui veut partir en balade en forêt prend-il un pur-sang qui fait des pointes à 60 km/h ? Non. Le pur-sang n’est bon qu’à faire des pointes à 60 km/h. Pour le reste, il est nerveux, il a peur de tout et doit être surveillé comme le lait sur le feu (on dira pudiquement que c’est un cheval exigeant), il a le pied fragile, et une branche à moins de deux mètres du sol est un problème.
L’adulte qui veut partir tranquillement faire une balade en forêt a donc tout intérêt à prendre un truc genre poney, mais adapté à son poids. Par exemple, chez moi, on avait des fjords, ça fait 1,35 m et ça peut porter un quintal toute la journée s’il le faut. On prend un peu plus les branches et les toiles d’araignées qu’avec un shetland, mais moins qu’avec un pur-sang, et on ne passe pas son temps à se demander si le bruit d’une musaraigne va pas le faire paniquer (si un fjord entend une musaraigne, sa réaction naturelle est plutôt d’aller voir si ça se mange).
N’en déplaise aux puristes, au royaume des canassons, il y a donc des chevaux, des poneys, et parmi les poneys il y a des grands poneys.
Là, vous vous dites que je me suis trompé de blog et que j’ai mis un billet perso dans la rubrique photo. Et bien non, figurez-vous. Ce billet ne parle pas de chevaux, mais de capteurs.
Récemment, Nikon a présenté ses premiers compacts équipés de capteurs au format 1″. Certains de mes confrères ont dit que ces appareils avaient un grand capteur, ce qui est indéniable en comparaison aux précédents P330, P7700 et autres P9100 précédents. Certains de leurs lecteurs leur ont répliqué, de manière parfois assez insultante, qu’un grand capteur, c’est 24×36 mm et pas moins (ou qu’un compact expert, c’est un Sony RX1 et pas autre chose, ce qui est juste une autre façon de dire la même chose).
Le format 1″, c’est le fjord des capteurs. Sur des compacts, traditionnellement équipés de capteurs nains façon shetland, quand on met un 1″, c’est un grand capteur, comme le fjord est un grand poney.
Évidemment, ça n’est pas un grand capteur quand on le compare au 24×36 mm, qui est le pur-sang anglais de la famille, ou même à l’APS‑C (un honnête selle français qui convient à tout le monde mais fait quand même prendre pas mal de branches basses). Et bien entendu, il y a eu des compacts à très grand capteur 24×36 mm, mais là on parle de percheron : c’est très grand, c’est excellent pour sa tâche particulière, mais c’est ni aussi pratique qu’un reflex, ni aussi polyvalent qu’un compact à petit capteur.
Et puis, le format 24×36 mm lui-même n’est pas si grand selon tous les standards. Pour un habitué des shires, pardon, je voulais dire des moyens-formats, le pur-sang est un nabot sans intérêt (et oui, j’ai déjà entendu un professionnel du moyen-format dire qu’il trouvait dommage que le dos Mamiya DM40 soit “trop petit” — à 33×44 mm, il ne couvrait effectivement pas le plein format du 645DF sur lequel il se montait).
Bref, la notion même de grand ou petit capteur dépend du contexte. Pour un compact ordinaire, un capteur de 8,8×13,2 mm est grand (il est deux fois plus grand que le 2/3″ habituel sur les compacts experts et quatre fois plus que le 1/2,3″ des modèles de milieu de gamme) ; pour un reflex, c’est un capteur de 24×36 mm qui est grand, et pour un moyen-format seul le 645 “full frame” de 40×54 mm mérite ce nom.
Un capteur 1″ est ridiculement petit pour un appareil à objectifs interchangeables comme un Nikon 1 : c’est comme engager un fjord au prix d’Amérique. Le même capteur 1″ est grand dans un compact, comme un fjord est grand lorsqu’il accompagne les sorties du poney-club — et ce, même si un voisin propose aux enfants de monter sur son shire pour rigoler.