Un capteur multicouches à miroirs

Le rouge pénètre mieux le sili­cium que le bleu. Dès les années 70, l’i­dée d’empiler plu­sieurs pho­to­diodes pour voir les cou­leurs natu­rel­le­ment, sup­pri­mant ain­si la matrice de Bayer qui éli­mine la majeure par­tie de la lumière reçue, fait son che­min. Mais dès cette époque, les limites de la réa­li­té sont bru­tales : com­plexi­té et coût de la construc­tion en pro­fon­deur, bruit de lec­ture éle­vé en par­ti­cu­lier sur les pho­to­diodes pro­fondes… Le seul exemple réel­le­ment ven­du au grand public, le cap­teur tri­couche Foveon, a eu une car­rière en demi-teinte, avec d’un côté une excel­lente résis­tance au moi­ré et une remar­quable capa­ci­té à pro­fi­ter de la réso­lu­tion des optiques, mais de l’autre une sen­si­bi­li­té médiocre en par­ti­cu­lier dans les teintes rouges.

Cepen­dant, ces der­niers temps, une nou­velle option s’offre à ceux qui s’in­té­ressent aux cap­teurs mul­ti­couches : le col­lage, qui per­met de s’é­par­gner une gra­vure en épais­seurs suc­ces­sives. Les tech­niques ont beau­coup pro­gres­sé avec la géné­ra­li­sa­tion des cap­teurs BSI (qui sont col­lés sur un sup­port avant d’être affi­nés), puis des Cmos empi­lés (un tapis de pho­to­diodes col­lé sur un cir­cuit de lec­ture). Construire un cap­teur bicouche peut ain­si peu ou prou se résu­mer à construire deux cap­teurs nor­maux, puis à les col­ler l’un sur l’autre.

Un capteur BSI est collé sur un capteur normal. Entre les deux, des miroirs de Bragg (DBR). document Anzagira/Fossum/Dartmouth college
Un cap­teur BSI (top pixel layer) est col­lé sur un cap­teur nor­mal (bot­tom pixel layer). Entre les deux, des miroirs de Bragg (DBR). docu­ment Anzagira/Fossum/Dartmouth college

Le plus inté­res­sant, c’est que l’on peut éga­le­ment en pro­fi­ter pour insé­rer d’autres élé­ments entre les deux couches. C’est ce que pro­posent de faire Leo Anza­gi­ra et Eric Fos­sum dans un papier pré­sen­té en juin à l’ate­lier inter­na­tio­nal du cap­teur d’i­mage. Oui, je sais, ça date, mais je viens de tom­ber des­sus et je trouve ça inté­res­sant, sur­tout que Fos­sum est loin d’être un incon­nu : dans les années 90, ses tra­vaux au JPL ont tout sim­ple­ment été à la base du cap­teur Cmos tel qu’on le connaît.

La par­ti­cu­la­ri­té de ce nou­veau pro­jet, c’est l’in­ser­tion d’un miroir diélec­trique entre les deux couches de pho­to­diodes. Un miroir diélec­trique est un miroir qua­si­ment par­fait pour cer­taines lon­gueurs d’ondes, mais il est éga­le­ment impec­ca­ble­ment trans­pa­rent pour d’autres lon­gueurs d’ondes : par exemple, il peut idéa­le­ment reflé­ter le bleu et lais­ser pas­ser libre­ment le vert.

Dans ce cas, que se passe-t-il ?

De manière géné­rale, une pho­to­diode ne capte pas toute la lumière qui la frappe : elle en laisse pas­ser une par­tie. Ici, la couche de sur­face capte donc un peu de l’en­semble du spectre, mais en laisse pas­ser une autre. C’est cette seconde por­tion qui frappe le miroir diélec­trique : selon la cou­leur concer­née, une par­tie est donc reflé­tée et revient à la pre­mière pho­to­diode, où elle a une seconde chance d’être cap­tée, tan­dis que l’autre plonge dans la pho­to­diode la plus pro­fonde. Ain­si, d’une part, tous les pho­tons ont une bonne chance d’a­voir été détec­tés et, d’autre part, on obtient une sépa­ra­tion des couleurs.

Sensibilité des photodiodes de surface et de profondeur, selon la longueur d'onde du miroir utilisé. document Anzagira/Fossum/Dartmouth college
Sen­si­bi­li­té des pho­to­diodes de sur­face et de pro­fon­deur, selon la lon­gueur d’onde du miroir uti­li­sé. docu­ment Anzagira/Fossum/Dartmouth college

Ain­si, un miroir à 450 nm (à gauche) per­met d’ob­te­nir une excel­lente cap­ture du bleu par la couche supé­rieure — mine de rien, la sen­si­bi­li­té au bleu est un pro­blème récur­rent des cap­teurs au sili­cium. C’est donc mieux que pour un pho­to­site clas­sique pla­cé der­rière un filtre bleu, comme on en trouve dans le sché­ma de Bayer par exemple. Mais en plus, le vert et le rouge, au lieu d’être éli­mi­nés par le filtre, passent libre­ment le miroir et sont effi­ca­ce­ment cap­tés par la pho­to­diode la plus pro­fonde. Avec un miroir à 650 nm, c’est l’in­verse : la lumière entre 600 et 700 nm est reflé­tée, don­nant à la diode supé­rieure une double dose de rouge oran­gé (elle conserve éga­le­ment sa sen­si­bi­li­té natu­relle au bleu), tan­dis que sa cou­sine des pro­fon­deurs ne capte que le bleu-vert et l’infrarouge.

Bien enten­du, pour recons­ti­tuer les cou­leurs natu­relles, cela demande plus de cal­culs qu’a­vec une clas­sique matrice de filtres rouges, verts et bleus : il ne suf­fit pas de mesu­rer la charge de chaque pho­to­diode, il faut éga­le­ment la com­pa­rer à ce que serait sa charge dans le cas d’une lumière neutre. Il faut donc que le pro­ces­seur suive et que les algo­rithmes soient adaptés.

Mais cela per­met de détec­ter la presque tota­li­té de la lumière frap­pant le cap­teur, alors qu’on en perd plus de la moi­tié dans le sys­tème clas­sique. Les auteurs annoncent une amé­lio­ra­tion du rap­port signal/bruit de l’ordre de 4 dB, ce qui signi­fie concrè­te­ment un gain d’un peu plus d’une valeur Iso à bruit com­pa­rable : un tel cap­teur pour­rait donc rap­pro­cher les cap­teurs en cou­leurs de l’ef­fi­ca­ci­té des cap­teurs mono­chromes uti­li­sés en vision auto­ma­tique et en surveillance.