Canon à l’assaut du Bigma ?

Depuis le prin­temps, Canon mul­ti­plie les bre­vets concer­nant les super­zooms pour reflex 24×36 mm. Des objec­tifs avec un fac­teur de l’ordre de 20× pour­raient ain­si être envi­sa­gés, concur­ren­çant à la fois les trans­stan­dards à gros zoom et l’emblématique “Big­ma”.

Quinze ans de stabilité

Si je vous demande, là comme ça au débot­té, quel est le plus grand fac­teur de zoom pour un objec­tif de reflex plein for­mat, vous pen­sez à quoi ?

Si l’i­mage qui s’im­pose est celle des clas­siques 28–300 mm (Canon, Nikon, Tam­ron…), féli­ci­ta­tions : ils dépassent de peu les 10× et sont à ma connais­sance les seuls à le faire — sauf à s’embarquer dans des aven­tures finan­ciè­re­ment dou­lou­reuses avec des fabri­cants ultra-spé­cia­li­sés genre Angénieux.

Si vous pen­sez au Sig­ma 50–500 mm, vous avez tout de même l’exa­men, c’est un objec­tif unique qui a mar­qué les esprits même si, tech­ni­que­ment, il zoome un poil moins que les 28–300 mm. Mais si vous pen­sez aux 150–600 mm ou au 1200 mm, c’est que vous confon­dez “zoo­mer” et “avoir une longue focale”, donc vous allez reve­nir l’an­née pro­chaine. Désolé.

Dernière évolution, le Tamron 28-300 mm f/3,5-6,3 Di VC PZD garde la même plage de zoom que son ancêtre quinze ans plus vieux. - photo Tamron
Der­nière évo­lu­tion, le Tam­ron 28–300 mm f/3,5–6,3 Di VC PZD garde la même plage de zoom que son ancêtre quinze ans plus vieux. — pho­to Tamron

Ce qui est inté­res­sant, c’est que c’est un domaine qui bouge très peu : le pre­mier 28–300 mm fut lan­cé par Tam­ron, et si vous vou­lez connaître son âge, disons pudi­que­ment que ce n’est qu’à la troi­sième ver­sion que la men­tion “Di” (indi­quant un objec­tif conçu pour les appa­reils numé­riques) est apparue.¹

De même, le 50–500 mm évo­lue par petites touches (trai­te­ment anti-reflets, sta­bi­li­sa­tion, construc­tion…) depuis la fin du siècle der­nier, sans vraie révolution.

Vous avez dit 20× ?

Nous sommes en 2016, ça fait dix ans que toutes les caté­go­ries d’ap­pa­reils (sauf les 24×36 mm) font la course au plus gros zoom, et nous pou­vons enfin espé­rer voir poindre un objec­tif à la plage plus large : Canon a l’air très inté­res­sé. Le 14 juillet, l’of­fice des bre­vets japo­nais a ain­si publié le 2016–128846.

Celui-ci désigne une archi­tec­ture géné­rale de zooms per­met­tant de frô­ler un fac­teur 20×. Les exemples don­nés sont des 40–800 mm cou­vrant le plein for­mat — pour être exact, le pre­mier est un 41–781 mm, le deuxième un 40,5–784 mm.

Ces objec­tifs se rap­prochent donc, dans la logique des choses, du Sig­ma 50–500 mm : comme lui, ils ne vont pas dans le domaine du grand-angle et ne rem­placent donc pas un trans­stan­dard, mais ils mettent à pro­fit leur fac­teur extrême pour asso­cier une focale stan­dard et un super-téléobjectif.

Quatre groupes mobiles, mais le groupe frontal reste fixe et la longueur constante. - extrait du brevet 2016-128846
Quatre groupes mobiles, mais le groupe fron­tal reste fixe et la lon­gueur constante. — extrait du bre­vet 2016–128846

Leur par­ti­cu­la­ri­té, qui par­le­ra sans nul doute aux connais­seurs du Big­ma, c’est qu’ils ne s’al­longent qua­si­ment pas lors du chan­ge­ment de focale. En fait, le pre­mier ne s’al­longe même abso­lu­ment pas : il reste tou­jours à 49 cm de lon­gueur. Certes, c’est énorme (le Big­ma fait entre 22 et 31 cm selon les focales), mais au moins on sait à quoi s’en tenir et on ne risque pas de per­cu­ter un obs­tacle parce qu’on a zoomé.

Et puis, en com­pa­rai­son, le Sig­ma 300–800 mm fait 54 cm et les 800 mm Cani­kon font 46 cm alors que ce sont des focales fixes.

Vous me direz qu’un bre­vet n’in­dique pas for­cé­ment une pro­duc­tion indus­trielle proche. Certes, mais…

Transstandard

Mais ce bre­vet en rejoint d’autres, tous publiés récemment.

D’a­bord, il y a le 2016–80973, publié en mai, lui aus­si pour Canon. L’ob­jec­tif décrit est un 29–541 mm, qui devien­drait sans doute 28–560 mm une fois le fac­teur mar­ke­ting pris en compte. Il est plus clas­sique et s’al­longe net­te­ment pen­dant le zoom (de 30 à 40 cm) ; il est éga­le­ment sen­si­ble­ment moins long côté télé­ob­jec­tif — quoique, soyons hon­nêtes, entre 540 et 790 mm, la dif­fé­rence n’est pas choquante.

Aucune lentille fixe et, fatalement, un allongement pendant le zoom. - extrait du brevet 2016-80973
Aucune len­tille fixe et, fata­le­ment, un allon­ge­ment pen­dant le zoom. — extrait du bre­vet 2016–80973

En com­pen­sa­tion, il démarre bien plus loin côté grand-angle et, pour les spor­tifs (il ne sera sans doute pas léger !), il pour­rait être un objec­tif du quo­ti­dien : c’est en fait sen­si­ble­ment la fusion d’un 28-quelque chose et d’un Big­ma. Mieux : son ouver­ture, logi­que­ment limi­tée au télé (f/5,9, on a vu pire), reste bonne au grand-angle : à 29 mm, elle atteint f/2,9.

Enfin, au début du mois, c’est tou­jours chez Canon qu’on trouve le bre­vet 2016–142795. Un obser­va­teur dis­trait pour­rait pen­ser qu’il s’a­git d’une évo­lu­tion du pré­cé­dent : il pré­sente un 29–543 mm f/2,9–5,9, de 28 cm de lon­gueur au grand-angle et 39 cm au télé.

Mais en véri­té, l’ar­chi­tec­ture des objec­tifs de ce troi­sième bre­vet est assez dif­fé­rente de ceux du deuxième : le mou­ve­ment des groupes mobiles n’est pas tout à fait le même et, sur­tout, ce n’est pas la même par­tie qui s’oc­cupe de la mise au point. Sur le bre­vet de mai, c’est une len­tille unique (L3A sur le sché­ma ci-des­sus) qui se déplace à l’in­té­rieur d’un bloc (L3) lui-même mobile ; sur celui d’août, c’est un bloc sépa­ré (L4 sur le sché­ma ci-des­sous) qui se meut à la fois lors du zoom et de la mise au point.

Nouvelle version du 28-560 mm, avec la mise au point dans un groupe indépendant. - extrait du brevet 2016-142795
Nou­velle ver­sion du 28–560 mm, avec la mise au point dans un groupe indé­pen­dant. — extrait du bre­vet 2016–142795

Cette solu­tion paraît pré­fé­rable : plu­tôt que de contrô­ler un mou­ve­ment à l’in­té­rieur d’un truc lui-même mobile, il s’a­git de pilo­ter un seul dépla­ce­ment en fonc­tion des deux fac­teurs. Ça devrait logi­que­ment sim­pli­fier l’u­si­nage et amé­lio­rer la pré­ci­sion de pla­ce­ment des lentilles.

M. Canon, tu m’intéresses

Comme d’ha­bi­tude, il faut bien mar­te­ler qu’un bre­vet ne fait pas un pro­duit. Peut-être qu’au­cun de ces objec­tifs n’ap­pa­raî­tra jamais.

Néan­moins, voir pas­ser trois bre­vets coup sur coup visant à dépas­ser les 11× des zooms 24×36 mm habi­tuels, après quinze ans de rela­tive stag­na­tion dans ce domaine, ça fait for­cé­ment lever un sour­cil : clai­re­ment, Canon a deman­dé il y a quelque temps à un lot d’in­gé­nieurs de plan­cher sérieu­se­ment sur la question.

Largage de sécurité
Cette pho­to n’exis­te­rait pas sans le 50–500 mm : même un 120–400 mm était trop “long” au “grand-angle” pour la prendre.

Per­son­nel­le­ment, en tant que grand uti­li­sa­teur du Big­ma (l’ob­jec­tif le plus adap­té aux mee­tings aériens, toutes marques confon­dues), les deux m’in­té­ressent. Le 40–800 mm pour­rait per­mettre d’al­ler cher­cher les avions plus loin, lors des regrou­pe­ments, sans perdre la pos­si­bi­li­té de shoo­ter les patrouilles lâches ou les avions impo­sants ; le 29–540 mm per­met­trait pour sa part de pas­ser du sta­tique aux démons­tra­tions, de pho­to­gra­phier encore plus lar­ge­ment les écla­te­ments de patrouilles, voire de faire coup sur coup l’a­vion qui vient faire demi-tour au ras du public et celui qui passe au loin à la Ferté-Alais.

Évi­dem­ment, si Pentax, Tam­ron ou Sig­ma vou­laient s’en ins­pi­rer (en mon­ture Pentax pour ces der­niers), ça me bot­te­rait bien aus­si. Mais Canon a l’air de bos­ser plus qu’eux sur le sujet, et c’est un des rares argu­ments qui pour­raient me faire chan­ger de crémerie.

¹ Si vous n’être pas du genre pudique, le patriarche Tam­ron AF 28–300 f/3,5–6,6 LD Asphe­ri­cal [IF] Macro a été lan­cé en 1999.