Nikon 70–300 mm : mais pourquoi ?
|Nikon a annoncé hier le D3400, un reflex d’entrée de gamme copié-collé du D3300 (avec en plus une liaison Bluetooth pour transférer des images, en basse définition uniquement). La marque a également annoncé deux objectifs 70–300 mm ; ceux-ci sont en fait beaucoup plus intéressants à observer.
Le 70–300 mm (ou 75–300 mm parfois), c’est un grand classique. Aux temps argentiques, les zooms de kit étaient souvent des 35–70 mm, puis des 28–70 mm ou 28–80 mm. Ils étaient naturellement complétés par des 70–200 mm ; les utilisateurs avancés sont longtemps restés sur cette plage, qui permettait d’avoir un objectif lumineux encore relativement léger, mais les appareils plus grand public ont vite reçu des 70–300 mm parce que 300, c’était plus vendeur que 200 — quitte à perdre deux diaphragmes aux longues focales. Le bi-kit abordable était donc l’association d’un boîtier style EOS 500, F60, MZ-30 ou 300si, d’un transstandard genre 28–70 mm et d’un télézoom façon 70–300 mm.
Plage originale
Les nouveaux Nikon sont remarquables sur un point : ce sont des DX. Contrairement à leurs ancêtres, ils ne sont donc pas prévus pour couvrir le 24×36 mm. Plutôt que les héritiers des 70–300 mm de jadis ou une version light du VR 70–300 mm IF-ED annoncé il y a quelques années, ces 70–300 mm sont donc les équivalents “petit capteur” d’un hypothétique 105–450 mm.
Vous me direz que ça n’est pas tout à fait nouveau : Olympus par exemple a un 75–300 mm en µ4/3 (reprenant donc le champ d’un 150–600 mm). Il y a tout de même une différence fondamentale, c’est qu’Olympus ne fait pas d’appareil 24×36 mm avec la même monture. C’est un choix remarquable, sur le plan de la compatibilité, que Nikon a fait : jusqu’ici, un 70–300 mm abordable était un bon complément pour un photographe équipé en petit capteur qui voulait se réserver la possibilité de passer au “full frame” plus tard ; avec ces nouveaux modèles, un passage au D610 imposera l’achat d’un nouveau télézoom, sauf à n’utiliser que le centre de son capteur.
Ce n’est d’ailleurs pas le seul problème de compatibilité de ce nouveau caillou : il ne fonctionnera que sur les boîtiers D3300, D5200, D7100, D500 et leurs successeurs. Alors certes, la motorisation AF‑P est plus efficace en vidéo et un peu plus discrète, mais pour le reste, elle n’apporte pas grand-chose par rapport à l’AF‑S des objectifs précédents, laquelle ne limite pas autant la gamme d’appareils utilisables.
Arrêter le café
Mais la vraie particularité du nouveau 70–300 mm, c’est que, comme le 18–55 mm présenté en janvier, il est décliné en deux versions. La VR est stabilisée et celle qui n’a pas ce label ne l’est pas.
Alors, sur un objectif plafonnant à un équivalent 85 mm, je veux bien que la stabilisation ne soit pas essentielle. Sur un kit dont le surcoût face au boîtier nu ne dépasse pas une centaine d’euros, je comprends que 50 € fassent une différence radicale.
Mais là, on grimpe à 450 mm : pour obtenir une image nette à peu près à coup sûr, il faut déclencher vers le 1/500 s. En prime, l’objectif n’ouvre qu’à f/6,3. Je viens de faire le test : si je vise l’arbre en face de chez moi (style pour photographier un oiseau, ce qui devrait souvent arriver aux 70–300 mm), aujourd’hui, à f/6,3 et 1/500 s, il faut afficher 3200 Iso pour obtenir une exposition correcte.
Imaginons que j’aie arrêté le café, que j’aie une main plutôt sure, que j’aie pris un bêtabloquant, et que je shoote une pie ou un corbeau à l’ombre d’un arbre : je voudrai photographier au 1/250 s avec +1 IL de correction, et ça me fera encore 3200 Iso. Pour les détails dans le plumage, je repasserai.
Certes, aujourd’hui, le temps est couvert, mais Nikon vient donc de présenter sans plaisanter un téléobjectif à 350 € qui ne peut raisonnablement être utilisé qu’en plein soleil.
Concurrence interne et externe
Pis, celui-ci sera lancé à un tarif plus élevé que le cours actuel en ligne du 55–300 mm VR. Celui-ci est stabilisé, il commence à un grand-angle un peu plus large, il est un peu plus lumineux au télé, il ne fait que 100 g de plus et garde sensiblement les mêmes dimensions, et si votre enfant se paie un D3000 d’occasion, il pourra vous l’emprunter.
Certes, ça n’est pas une tuerie optique et il est possible que le 70–300 mm (VR ou non) fournisse de meilleures images. Hélas, pour ceux qui cherchent un objectif de qualité à moins de 400 €, on trouve le Tamron 70–300 mm série SP (à ne pas confondre avec le LD, beaucoup moins cher mais optiquement très discutable). Celui-ci est évidemment stabilisé et profite d’un excellent rapport qualité-prix, sans bien sûr limiter la rétro-compatibilité. Certes, il est deux fois plus lourd, mais vu le niveau de gamme je n’ai guère de doute sur le fait que le Nikon lui sera inférieur sur le plan optique.
À l’heure du bilan, l’existence même de la version non stabilisée me paraît incompréhensible. Mais au-delà de cela, j’ai beaucoup de mal à comprendre le rôle de la version stabilisée : à part le moteur pas-à-pas, elle n’apporte pas grand-chose face au 55–300 mm (qui est aujourd’hui moins cher, et aussi compact malgré sa plage plus large). Symboliquement, le 70–300 mm perd la jonction avec le 18–55 mm, et il est peu probable qu’il soit spectaculairement supérieur au 55–300 mm — et ceux que cette question intéresse ont un très bon Tamron au même prix.
Si j’étais narquois, je dirais “un 70–300 mm, sans stab, pas spécialement donné, qui n’apporte rien à la gamme, respect : il fallait oser !” Mais comme ce n’est pas mon genre, je me bornerai à dire que je ne vois pas un scénario d’achat dans lequel l’un ou l’autre de ces 70–300 mm soit la meilleure réponse.