Carol Highsmith attaque Getty, qui a vendu ses photos
|On connaît le cas des photographes qui poursuivent en justice des éditeurs, après que ceux-ci ont diffusé leurs œuvres sans autorisation ni rétribution. Le cas de Carol Highsmith est plus original : elle poursuit Getty et Alamy pour avoir réclamé des droits d’auteur sur des images qu’elle avait diffusées gratuitement. Pis : ce cas d’appropriation illicite des droits d’auteur n’est pas une première pour Getty.
Tout commence il y a près de trente ans. Carol M. Highsmith s’est fait connaître dans les années 80 en photographiant la restauration de l’hôtel Willard, puis plus largement le renouveau de Pennsylvania avenue. En 1988, elle place une partie de son œuvre sous domaine public et la donne à la bibliothèque du Congrès. Elle continue ensuite à compléter régulièrement cette collection, au fur et à mesure qu’elle photographie inlassablement l’ensemble des États-Unis. Ses photos deviennent ainsi une documentation semi-officielle du pays et, aujourd’hui, sa base de données à la bibliothèque du Congrès compte plus de 31 000 entrées !
Highsmith n’a demandé qu’une chose : être correctement citée comme l’autrice des photos, ce qui paraît raisonnable — qui essaierait de fourguer des reproductions de la Vénus de Milo en prétendant l’avoir sculptée lui-même ? En-dehors de cette restriction, tout un chacun peut utiliser librement ses images (une disposition assez proche de l’actuelle licence CC-BY). Tout un chacun, y compris l’autrice : assez logiquement, Carol Highsmith utilise ses propres photos sur le site web de sa propre fondation. Jusque là, tout va bien.
Facturer le gratuit
Sauf que ses clichés ont également été intégrés dans la base de données Getty Images, dont une partie du business consiste à surveiller très attentivement les reprises pour demander des droits d’auteur à quiconque aurait malencontreusement (ou volontairement) contrefait une de ses images.
Selon la plainte déposée par la photographe, voilà donc Getty — ou plus exactement ses filiales LCS et Picscout — qui envoie une facture à Carol Highsmith parce qu’elle a utilisé une image de Carol Highsmith placée dans le domaine public par Carol Highsmith.
Logiquement, Carol Highsmith n’a pas apprécié.
Il semble que le défendeur se soit approprié illicitement le don généreux de Mme Highsmith au peuple américain. Le défendeur ne se contente pas de demander illégalement des droits d’auteur à des personnes et des organisations qui étaient déjà autorisées à reproduire et afficher gratuitement les photos données, mais se présente de manière fausse et frauduleuse comme le détenteur exclusif des droits d’auteur (ou le représentant de ceux-ci), menaçant des individus et des entreprises de poursuites pour violation du droit d’auteur que le défendeur ne pourrait en réalité pas poursuivre légalement.
La plainte précise que pas moins de 18 755 photos de Carol Highsmith sont ainsi faussement appropriées par Getty. Ce sont donc 18 755 infractions séparées ; pour ce type d’atteinte au droit d’auteur, il est prévu des dommages et intérêts de 2 500 à 25 000 dollars. Du coup, le total pourrait atteindre 468 875 000 dollars.
Coûteuse récidive
Petit détail : ce n’est pas la première fois que Getty est épinglée pour ce comportement. En novembre 2013, Daniel Morel avait reçu 1,2 million de dollars après que l’entreprise (et l’Agence France-Presse, co-défenderesse dans cette affaire) avait généreusement distribué et facturé dans la presse une de ses photos, postée sur Twitter. L’affaire était toutefois quelque peu différente, les photos publiées sur ce site n’étant pas réputées libres de droits.
Ce détail n’en est pas forcément un pour le banquier de Getty : selon la loi américaine, une récidive dans les trois ans permet à la Cour de tripler les montants demandés. La facture pourrait donc largement dépasser le milliard de dollars !
Il paraît peu probable que l’agence soit effectivement condamnée à une telle somme. Mais elle aura du mal à prouver sa bonne foi : d’après la plainte, Highsmith a pu plaider sa cause auprès de LCS et Picscout. Mais cela ne les a pas empêchés de continuer à menacer d’autres utilisateurs des mêmes images, bien qu’il ne leur fût plus possible d’ignorer l’origine des photos et leur gratuité.
Notons qu’Alamy, concurrent de Getty, est également attaqué pour les mêmes faits. Mais il ne risque pas le triplement des dommages, n’a enfreint les droits “que” d’environ 500 photos, et sa notoriété moindre explique sans doute que les médias américains se concentrent sur l’affaire Highsmith vs Getty Images.
Dans tous les cas, cette affaire sera intéressante à suivre : si les plaintes pour non-versement de droits d’auteur sont malheureusement légion, ceux de réclamation de droits d’auteur sur des œuvres utilisables gratuitement sont beaucoup plus rares. Nul doute que les associations gérant les Creative Commons vont également suivre très attentivement la suite des événements…