Nikkor 105 mm f/1,4 : bokeh et portrait
|Pour les portraitistes, la plupart des marques proposent des objectifs 85 mm f/1,4 : cette focale permet de cadrer des visages en plan serré aux distances courantes (1,5 m à 2 m), donc sans distorsion excessive, et la grande ouverture permet de réduire la profondeur de champ pour éliminer l’arrière-plan et concentrer l’attention sur le sujet. Pour les moins fortunés, on a également fait des 85 mm f/1,8 et, chez Pentax, un étonnant 77 mm f/1,8 de moins de 5 cm de longueur.
(Notons en passant que les utilisateurs d’appareils APS ont très tôt pris l’habitude de recycler les “fast fifties” pour retrouver un cadrage similaire malgré leurs capteurs plus petits.)
Cependant, beaucoup d’utilisateurs shootant d’un peu plus loin (ou cherchant un peu plus de polyvalence) ont également pris l’habitude d’utiliser des objectifs dans la plage 100–135 mm, quittes à perdre en ouverture. C’est sans doute ceux-là que Nikon vise avec son nouveau Nikkor 105 mm f/1,4, qui réunit un champ un poil plus serré que le classique 85 mm et une ouverture très généreuse.
Beau bokeh ?
Logiquement, Nikon met en avant la capacité de l’objectif à flouter les arrière-plans. Un rapide calcul montre que la profondeur de champ à pleine ouverture, pour un sujet à 2 m, serait de l’ordre de 2 cm : si vous faites le point sur l’œil, l’oreille sera déjà légèrement floue, de même que le nez — pour peu que la personne visée ressemble plus à Nicolas Sarkozy qu’à Carey Mulligan (ce qui serait dommage, mais vous êtres libre de choisir vos sujets).
Cependant, une chose est sûre : le bokeh de l’objectif est caractéristique. Loin du cercle crémeux idéalement recherché, il s’étire rapidement en lunes asymétriques dès qu’on quitte le centre de l’image. L’effet a ses fans, notamment chez les amateurs de films (à qui il rappelle l’effet de l’anamorphose du Cinemascope), mais il peut également avoir ses détracteurs. Il semble plus prononcé que sur les images que j’ai trouvées du 85 mm f/1,4 (qui a une formule un peu moins asymétrique), mais il faudrait un test spécifique pour être sûr.
En tout état de cause, mieux vaut être prévenu : les amateurs de bokeh circulaires peuvent d’ores et déjà chercher une autre optique, et les fans d’ovalie commencer à mettre de l’argent de côté.
Tout net, tout clair
Ce qui est plus étonnant, c’est la façon dont le communiqué insiste sur l’homogénéité : “les ingénieurs de Nikon ont accordé une attention toute particulière à la résolution dans les zones périphériques du cadre” et “l’assombrissement sur les bords est contrôlé afin de conserver la luminosité sur tout le cadre”.
Le portrait est une discipline particulière, et les objectifs dédiés sont généralement destinés à photographier des sujets situés, au pire, aux lignes des tiers de l’image. Les angles, non seulement on s’en fiche puisqu’on n’y met rien d’intéressant, mais on les préfère même flous pour renvoyer le regard de l’observateur sur les visages de la zone centrale. Idem pour le vignetage, ennemi des architectes et des paysagistes, mais souvent plutôt apprécié des portraitistes puisqu’il diminue la visibilité des éléments périphériques et fait ressortir le sujet.
Ceci dit, c’est pas gênant non plus d’avoir un objectif parfait : on peut toujours rajouter du vignetage (d’ailleurs, on le fait souvent pour les portraits pris avec un boîtier APS et un 50 mm) et les angles sont généralement floutés par le bokeh donc pas besoin d’y rajouter du coma et de l’aberration sphérique. Et puis, et si jamais on veut l’utiliser pour autre chose, ça peut toujours être bienvenu d’avoir un champ parfaitement homogène — la mise au point minimale à 1 m est un peu longue pour en faire un objectif de reprographie, mais on peut imaginer vouloir faire sortir un détail d’un paysage par exemple.
Personnellement, le seul truc qui m’inquiète, c’est que la dernière fois où j’ai entendu Nikon insister sur la qualité des bords, c’était pour le 58 mm f/1,4, connu pour être effectivement aussi net aux angles qu’au centre, mais aussi pour être très flou aux lignes des tiers à pleine ouverture, la faute à une courbure de champ en moustache extrêmement prononcée. J’espère de tout cœur que ça ne sera pas le cas ici : pour une focale à portrait, être flou aux bords n’est pas gênant, mais être flou aux tiers serait dramatique.
Attention, je n’affirme rien : la comparaison des coupes optiques (j’ai demandé le visuel, mais il ne m’est pas encore parvenu) montre que le 105 mm n’a pas grand-chose en commun avec le 58 mm, ni d’ailleurs avec le 85 mm. Il est tout à fait possible qu’il soit juste très homogène — ou même qu’il soit tout à fait normal, avec un bon piqué dans la zone centrale et une baisse en périphérie, et que le reste soit du marketing.
En tout cas, il a intérêt à être irréprochable au moins sur tout ce qu’on attend d’une optique à portrait : à 2300 €, personne ne lui fera de cadeau.