ROAM‑e : trop beau pour être utile ?
|La presse photo semble l’avoir totalement ignoré, mais il a beaucoup fait parler ailleurs : le Roam‑e, qui se présente comme un drone birotor spécialisé dans le selfie, a eu les honneurs de Melty Style, de GQ (avec un ignoble “prête de” dès la première phrase) et de Madmoizelle, ainsi que de Kulture Geek, Droid Soft, Nous testons et Le journal du geek.
Si vous avez du temps à perdre, vous pouvez lire ces articles. Vous y verrez que la prise de recul et la mise en perspective ne sont pas les spécialités de tous les journalistes français : si chacun rappelle les fonctions de l’appareil (portrait de l’utilisateur avec reconnaissance faciale, vidéo avec diffusion en directe ou encore photo panoramique sont au programme) et le prix (349 dollars australiens, l’équivalent au cours actuel d’environ 231 euros), rares sont ceux qui tentent un petit questionnement sur le produit lui-même.
Heureusement, il y a HelicoMicro. Vous me direz, ils s’y connaissent en machins volants, ça aide ; certes, mais n’importe quel journaliste a le droit de se renseigner avant d’écrire un papier. Bref, HelicoMicro nous explique que que le Roam‑e laisse quand même quelques doutes, vu qu’il ressemble à un autre (dont, soyons honnête, je n’avais jamais entendu parler) qui était loin d’être convaincant.
Le Roam‑e se présente comme un birotor coaxial, un peu comme un Kamov donc, mais réduit à 8,5 cm de largeur pales repliées et une trentaine de centimètres de hauteur. Un bouton de mise en marche, un capteur de 5 Mpx monté sur un support orientable, une batterie assurant une vingtaine de minutes d’autonomie, bref, rien à signaler — à part peut-être que l’exemple de la vidéo : se mettre sous l’appareil pour un portrait en survol vertical, faut avoir la foi.
Sur le papier, l’idée n’est pas forcément mauvaise. La solution du birotor coaxial permet de limiter l’encombrement et peut offrir une stabilité tout à fait correcte, si j’en crois les hélico-jouets qui pullulaient il y a quelques années. Or, pour faire un panoramique à dix mètres de hauteur, on n’a pas besoin d’un appareil très sophistiqué : il suffit qu’il tienne le stationnaire, monte quand on lui dit de monter, descende quand on lui dit de descendre, et tourne sur lui-même pour garder à l’œil son adepte du selfie.
Le vent nous portera
Monter, descendre, pas de problème : il suffit de jouer sur la puissance des moteurs. Faire un panoramique, pas de soucis non plus : en augmentant la puissance d’un moteur et en diminuant celle de l’autre, un rotor aura plus de couple que l’autre, donc l’appareil va spontanément se mettre à tourner — c’est comme ça que Kamov gère le contrôle en lacet de ses hélicoptères.
Reste un problème : tenir le stationnaire. Et je pense que c’est là que le bât blesse.
Si l’on regarde les détails, il n’y a aucun contrôle du pas. Ni collectif (mais on s’en fout, on peut faire varier la puissance), ni cyclique. Chaque rotor a donc un centre de portance unique, sans possibilité de le déplacer.
C’est le cas des quadrirotors ordinaires, mais sur ceux-ci les rotors sont répartis autour de l’appareil : en augmentant la puissance d’un moteur, on déplace le centre de portance de l’ensemble vers celui-ci. Or, c’est l’écart entre centre de portance et centre de gravité qui entraîne un déplacement horizontal ; augmenter la puissance d’un côté et la diminuer de l’autre permet donc le contrôle du stationnaire et du déplacement comme sur un hélicoptère classique.
Ici, les centres de portance des deux rotors sont sur le même axe vertical. L’appareil n’a donc aucun moyen de séparer centre de portance et centre de gravité : il reste toujours stationnaire (au temps pour les confrères qui disent qu’il suit son utilisateur : l’appareil photo suit le visage de son utilisateur, ce qui n’est pas la même chose).
Le Roam‑e reste stationnaire oui, mais stationnaire dans la masse d’air. Autrement dit, il dérive avec le vent. Utiliser cet appareil par la moindre petite brise, c’est l’assurance de le voir partir à l’horizontale à la vitesse d’un bon joggeur.
Vous me direz, s’il ne déplace pas son centre de portance, il peut peut-être déplacer son centre de gravité, à la manière d’un pilote de deltaplane. En théorie, pourquoi pas, mais rien ne l’indique sur la présentation du produit et, surtout, ce déplacement restera assez limité. Avec un contrôle cyclique du pas, il est possible de totalement supprimer la portance sur la moitié de la surface balayée par le rotor, et donc déséquilibrer très fortement l’appareil pour résister à des vents très importants. Idem sur un multirotor classique : on peut aller jusqu’à couper complètement un ou plusieurs moteurs. Même si le Roam‑e est équipé d’une masse déplaçable, cela ne jouera que sur quelques centimètres au maximum et ne permettra pas des corrections de la puissance d’un système aérodynamique.
C’est ballot, parce que sur le papier, le ROAM‑e est une des solutions les plus prometteuses que j’aie vues pour faire des panoramiques en hauteur, par dessus les obstacles.
Mais le fait d’être à la merci des courants d’air va restreindre son utilisation soit aux zones dépourvues d’obstacles (celles où on peut faire un panoramique à hauteur de visage sans problème et où ce type d’appareil est superflu), soit aux pilotes connaissant bien l’aérologie du coin (pour éviter de l’accrocher aux arbres ou de le jeter chez le voisin). Il se pilote en fait comme une montgolfière, et j’ai ouï dire que naviguer en ballon à air chaud est une des disciplines les plus complexes du monde aéronautique.