Les limites de la jeunesse
|La semaine dernière, j’étais à la présentation des prix Fidal pour les photographes. Comme souvent, ceux-ci proposent deux catégories : la photographie documentaire d’une part, la photographie de jeunesse d’autre part. Et comme à chaque fois qu’une catégorie “jeunes” est au programme, se pose la question : c’est quoi, un jeune photographe ?
La plupart du temps, ceux qui établissent les règlements des concours vont au plus simple : la jeunesse, c’est une question d’âge. On met une barre à 25 ou 30 ans, on précise à quelle date (Envoi de la candidature ? Fin de la période de candidature ? Remise des prix ?), et basta ! T’es sous la barre, tu joues, t’es au-dessus, tant pis pour toi.
Cette approche fait à chaque fois râler certains : il existe des photographes de moins de 25 ans qui ont dix ans d’activité dont six ou sept professionnellement, qui ont déjà fait le tour de la planète, publié dans Paris Match et exposé à droite à gauche. Sont-ils jeunes, alors, ceux qui ont déjà plus de métier que la plupart des trentenaires ? Pourquoi un type qui a eu l’idée saugrenue de finir ses études serait-il arbitrairement pénalisé parce qu’il ne s’est pas jeté sur les routes avec son appareil à 17 ans ?
Chez Fidal, ils ont donc fait un choix original : le “youth photography award” (j’avais apprécié que la présentation se déroule en français, ce qui changeait agréablement des marketeux qui parlent habituellement aux conférences, jusqu’à découvrir le titre officiel de ce concours) est ouvert jusqu’à… 40 ans. Peut-être le directeur de la communication de Fidal a‑t-il 42 ans et veut-il ainsi se dire qu’il est encore un peu jeune, je ne sais pas. Toujours est-il que cette fois, personne ne peut dire “oui, j’ai plus de 25 ans, avant je bossais sur ma thèse, j’avais autre chose à faire que des photos, c’est pô juste”.
Bien entendu, à 40 ans, plein de photographes sont déjà extrêmement connus. Eh, c’est l’âge auquel Capa est mort, je dis ça comme ça. Qui donnerait un prix jeunesse à Capa à la veille de son départ pour l’Indochine ?
Vient donc la deuxième définition de “jeune”, qu’il serait plus précis d’appeler “débutant” : un jeune photographe, c’est quelqu’un qui n’est pas confirmé dans le métier. Difficile d’estimer depuis combien de temps quelqu’un fait de la photo, mais en général on essaie d’évaluer sa notoriété et son expérience. Dans le cas de Fidal, le critère retenu est “pas d’exposition dans un musée ou un festival majeur”, ce qui élimine par exemple tous les gamins qui tapissent les murs du 104 ces jours-ci (je parle du festival Circulation(s), pour ceux qui ne sont pas au courant).
Là aussi, cette définition fait toujours ronchonner des râleurs : on peut avoir été exposé presque accidentellement dans un festival important, surtout en photo d’actualité où certains très bon documents viennent de purs amateurs qui étaient simplement au bon endroit quand un événement s’est produit. Ceux-là ne seraient donc pas “jeunes”, alors qu’un type sorti d’une école de photo qui shoote depuis dix ans mais n’a pas encore exposé le serait ?
Ces réflexions, on se les fait à chaque “prix jeunesse” — pas seulement en photo du reste : l’opération “Rallye jeunes” a apporté autant de soutien à des gens qui avaient déjà un pied dans le sport automobile qu’à de vrais débutants venus tenter leur chance au culot.
Cependant, je ne m’attendais pas à entendre autant de remarques sur le sujet après la conférence. Sur une demi-douzaine de questions, trois portaient directement ou indirectement sur les critères de qualification pour le “youth photography”, y compris un sexagénaire qui râlait qu’il n’avait jamais été exposé et ne voyait pas pourquoi il serait disqualifié juste parce qu’il avait trente ans de plus que le maximum.
Quelles que soient les questions que je me pose sur les limites de la “jeunesse” d’un photographe, je pense qu’il y a une chose indiscutable : les créateurs d’un prix choisissent qui est éligible et à qui ils l’attribuent selon leurs propres critères. Connaître ces critères pour s’assurer que ce n’est pas une question de copinage est évidemment indispensable, mais si on ne correspond pas aux critères, on va chercher une autre bourse qui, elle, nous sera ouverte. Pleurer parce que la barre est à 40 ans (ce qui est déjà exceptionnellement permissif) quand on en a plus de soixante, c’est juste ridicule.
En attendant, si vous avez moins de quarante ans et n’avez jamais fait d’exposition notable, vous pouvez monter une série de dix à quinze photos, imaginer un projet et poser votre candidature au prix semestriel “youth photography award” (je m’y ferai jamais) de Fidal. Vous aurez une chance de gagner 5 000 € pour votre projet et un accompagnement juridique (bien tiens, Fidal, c’est des avocats d’affaire).
Dans le cas contraire, si vous avez une idée de documentaire au long court, vous pouvez le proposer pour le prix de la photographie documentaire, avec une bourse de 20 000 € à utiliser pour réaliser votre projet dans un délai de deux ans. L’aide juridique est bien sûr toujours au programme, et le résultat sera mis en avant dans Fisheye.