Sigma SD Quattro : un air de K‑01
|Il n’est pas toujours facile de distinguer au premier coup d’œil une idée stupide d’une idée géniale. Il va donc falloir prendre un peu de temps pour savoir où ranger les nouveaux Sigma SD, qui sont des “compacts” à objectifs interchangeables équipés d’une monture de reflex.
En soi, l’idée n’est pas forcément malvenue : après tout, plein de gens utilisent des adaptateurs pour monter des optiques de reflex sur leurs COI — c’est même devenu la façon normale d’utiliser la remarquable gamme d’objectifs 4/3, depuis que le compact à objectifs interchangeables Olympus E‑M1 a remplacé le reflex E‑5.
Mais là, comme ça, cette idée fait remonter une trace de sueur froide : elle a connu un précédent dont l’évocation est douloureuse pour tous les pentaxistes, les journalistes hi-tech, et les amateurs de matériel photo en général.
Ce précédent s’appelait Pentax K‑01. C’était le premier COI prévu pour recevoir des optiques reflex, avec une monture KAF2 standard. Son design était particulier, il était lent, et il était extrêmement bruyant : la plupart des objectifs Pentax sont encore aujourd’hui pilotés par l’appareil, via un crabot pour l’autofocus et un levier pour l’ouverture. Le K‑01 a Dieu merci été un flop, ce qui a incité Ricoh à continuer à développer de bons reflex.
Un cas différent
Heureusement pour Sigma, le cas du DP Quattro est quelque peu différent. D’abord, la question du bruit ne se posera pas : la monture SA n’utilise, depuis sa création, que des liaisons électriques entre boîtier et objectif, et la mise au point en particulier ne fera pas les spectaculaires bruits de crécelle du K‑01 — les objectifs HSM font le point dans un parfait silence, les autres ont au pire un petit bruit de moteur électrique classique.
Ensuite, il y a des chances qu’il soit plus réactif.
Oui, je viens d’écrire qu’un appareil Sigma risquait d’être plus réactif qu’un autre. Connaissant la tradition des Sigma dans ce domaine (même les derniers “compacts” DP Quattro sont sensiblement moins vifs que la grande majorité des autres appareils), c’est dire comme les chronos du K‑01 m’ont laissé un souvenir cuisant.
En fait, Sigma inaugure sur le SD Quattro un nouveau capteur (enfin, deux, j’y reviendrai plus loin). C’est toujours un Foveon Quattro de 5 424×3 616 photodiodes sur la couche supérieure et 2 720×1 808 photodiodes sur les deux couches inférieures, comme sur les DP Quattro ; mais il reçoit un système de corrélation de phase, permettant une mise au point plus rapide, associé à un système de prédiction de mouvement pour améliorer le suivi des sujets mobiles.
Sur la base des précédentes expériences, je ne pense pas que Sigma pourra attaquer Olympus et feu Samsung dans ce domaine, et je ne serais pas étonné que le SD Quattro reste moins efficace que le reflex SD1 pour suivre un sujet (il n’aura en revanche pas de mal à être plus performant côté prises de vues en série et stabilité générale…). Cependant, il y a déjà eu des revirements inattendus dans ce domaine, comme la spectaculaire évolution qui sépare l’autofocus du Fujifilm X‑Pro1 de celui de l’actuel X‑Pro2, et je ne demande qu’à revivre cette excellente surprise.
Bref, si le concept du SD1 — prendre une monture reflex et faire un boîtier non-reflex autour — ressemble à celui du K‑01, il serait totalement injuste de tirer sur celui-là à cause de celui-ci : ce serait comme critiquer par avance le Fujifilm X100 sur la base des défauts du Sigma DP1, ce qui aurait été une sacrée erreur.
Pas un physique facile
Comment se faire remarquer quand on est un outsider, connu pour ses objectifs mais dont la plupart des gens ne savent même pas qu’on fait aussi des appareils photo ? Simple : ne rien faire comme les autres. Les premières séries de DP, avec leur allure de compact classique un peu glissant, n’avaient pas convaincu ; la génération Merrill qui avait suivi était plus réussie, mais passait inaperçue.
Pour le lancement des DP Quattro, Sigma a donc résolument pris le contre-pied de ce qui existait en proposant des “compacts” à poignée inversée, dont l’objectif est fixé au bout d’un corps de 16 cm de largeur ; le concept a été poussé à son comble avec le DP0 Quattro, qui pourrait vous valoir une interdiction de stade si vous tombez sur un vigile tatillon avec cet objet contondant dans votre sac.
Cependant, ça a marché : toute la presse en a parlé, les tests ont autant évoqué le design que les performances, et en discutant de Sigma avec des visiteurs au dernier Salon de la Photo, on pouvait entendre du “ah oui, ils font ces compacts bizarres, là”, ce qui est nettement plus valorisant que les “ah bon, ils font des appareils ?” qui étaient la règle il y a quelques années.
Aussi, Sigma continue logiquement dans le design original. L’épaisseur de la monture n’étant pas réductible, la marque n’a même pas cherché à faire compact : le boîtier nu fait 147×95×91 mm, des dimensions comparables à celles d’un vrai reflex comme le Pentax K‑3 (en fait, par rapport au SD1 Merrill, le SD Quattro gagne un centimètre de hauteur mais réussit l’exploit d’être plus épais !). La poignée moins haute que la monture donne à l’ensemble un équilibre particulier, le viseur centré pourrait plaire à ceux qui visent de l’œil droit mais sera rédhibitoire pour les autres, la prise synchro‑X sur l’avant ne manquera pas de faire parler les photographes de studio et, dans l’ensemble, le SD Quattro a au moins cette qualité : il ne passe pas inaperçu.
De dos, c’est peut-être plus impressionnant encore, avec cette dalle deux fois plus large que haute qui dissimule en fait deux écrans : l’un, au rapport 3/2, affiche images et menus ; l’autre, placé verticalement (rapport 2/5), rappelle les réglages en cours. Tous deux sont fixes, aucun n’est tactile : Sigma n’a pas encore compris l’intérêt de viser sous des angles étranges ou de sélectionner le sujet du bout du doigt, non plus d’ailleurs que de communiquer sans fil.
Choix du capteur
Autre grande originalité du SD Quattro : il existe en deux versions différentes, se distinguant par leur capteur. Le premier, dont j’ai parlé plus haut, ressemble beaucoup aux Foveon Quattro habituels et conserve le format 15,5×23,5 mm des DP Quattro.
Le second est plus grand : 17,9×26,6 mm. Il conserve les particularités des Quattro précédents, avec des photosites de 4,3 µm sur la couche supérieure et de 8,6 µm sur les autres, mais couvre une plus grande surface. Du coup, sa définition augmente : 6 192×4 128 px. Outre le rapport de conversion ramené à 1,3 (comparable aux vieux Canon EOS-1D par exemple), ce SD Quattro H devrait donc fournir des images d’une netteté comparable à celles du Canon EOS 5D S ou du Sony α7R II par exemple — dont la résolution réelle est limitée par le dématriçage.
Le tampon, critique récurrente sur les produits de la marque, a été accru pour supporter les données supplémentaires : atteignant 10 images sur le SD Quattro H, il se retrouve naturellement à 14 images sur le SD Quattro “tout court”. Le nouveau mode “super-fine detail”, qui crée un Raw à dynamique étendue à partir de plusieurs images, va sans doute également consommer plus de place, mais il faudra voir les fichiers concernés pour être affirmatif.
Le transfert est désormais confié à un port USB 3, ce qui devrait changer la vie de ceux qui n’utilisent pas un lecteur de cartes ou qui pilotent l’appareil directement depuis l’ordinateur. En revanche, l’unique port SD reste cantonné au standard UHS‑I : il ne faudra donc pas compter sur lui pour accélérer les transferts, qui plafonneront à environ 100 Mo/s dans le meilleur des cas (l’USB 3 pourrait, avec un lecteur compatible UHS-II, proposer une lecture quatre à cinq fois plus rapide…).
Et bien entendu, pour perdre le temps gagné grâce à l’USB 3 et au tampon accru, Sigma Photo Pro est toujours de la partie. Ce logiciel de développement Raw spécifique a toujours été d’une lenteur remarquable et demandé un ordinateur surpuissant pour parvenir à une vitesse de fonctionnement raisonnable ; espérons que Sigma se sera enfin décidé à l’optimiser un peu… mais ne rêvons pas trop.
On ne connaît pour l’heure ni les tarifs, ni les dates de lancement des SD Quattro. Deux choses sont en tout cas certaines : la qualité d’image devrait être excellente en basse sensibilité, et les appareils ne passeront pas inaperçus.