Pen‑F : l’hybride hipster
|Le hipster, dans le monde moderne, est un phénomène difficile à décrire, mais qu’on finit par reconnaître quand on le voit. Le hipster est barbu, hirsute, mais le genre d’hirsute qui passe une demi-heure devant le miroir pour être hirsute comme il faut. Il porte des jeans et des chemises à carreaux comme les pauvres des années 50 ou les péquenots du Midwest, mais ce sont des jeans et des chemises à 100 € pièce, impeccablement cintrés. Il se flatte de ne pas suivre la mode sans s’apercevoir qu’ils sont 40 au mètre carré dans sa rue et, sous ce qu’il pense être une allure rétro et populaire, il cache des préoccupations extrêmement modernes, voire élitistes — quand sort le prochain iPhone ? Dois-je mettre “directeur artistique” ou “graphiste indépendant” sur ma carte de visite ? Comment montrer à tout le monde que j’ai la classe, sans avoir l’air de vouloir avoir la classe ?
Cette semaine, Olympus a présenté le Pen‑F. Attention : il existe plusieurs Charles de Gaulle, et le porte-avions ne s’utilise pas comme la place ni comme le général ; le Pen‑F 2016 n’a donc absolument rien à voir avec le vrai Pen F, le reflex 24x18 mm sorti en 1963, qui avait marqué les esprits par sa compacité (c’était une des premières œuvres vraiment marquantes de Yoshihisa Maitani, qui accoucha également de la lignée OM) et son architecture très inhabituelle (l’obturateur était rotatif, le miroir reflex était vertical, des prismes de Porro renvoyaient l’image dans un viseur légèrement désaxé, et il faisait des photos verticales lorsqu’on le tenait normalement).
Le nouveau Pen‑F est, lui, un hybride tout à fait classique, avec un capteur de 20 Mpxl monté sur une platine stabilisée (avec pilotage selon cinq axes), un obturateur à rideaux montant au 1/8000 s, une monture Micro 4/3, toutes les fonctions habituelles des derniers Olympus, bref, rien d’original sur le plan technique : l’appareil est moderne, au goût du jour, mais il ne sort pas des sentiers battus.
Sur le plan ergonomique, il se distingue par une molette en façade permettant de régler le style d’image (solution déjà vue sur les Pentax Q, ce que curieusement pas un de mes confrères n’a relevé). Il reçoit également un viseur intégré, avec un grossissement de 0,62x largement moins confortable que sur les OM‑D et à peu près tous les hybrides à viseur électronique (moins de 0,7x est heureusement devenu rare sur ce type de boîtier). Bref, rien qui justifie des applaudissements.
Le Pen‑F attire pourtant beaucoup, si j’en juge par ce que la presse en a dit. J’ai bien cherché, la seule explication est à chercher du côté du style : il reprend plein de petits morceaux de celui du Pen F, le vrai, et se donne énormément de mal pour avoir l’air vieux et populaire. C’est d’ailleurs probablement la raison d’être de la molette des styles, qui reprend position et allure de la molette des vitesses sur le Pen F. Mais si cela fonctionne vu de face, dès que l’on regarde la face supérieure ou l’arrière, le vernis craque : l’organisation des molettes, le gros barillet PASM, l’écran orientable et la multitude de boutons, tout rappelle qu’on a affaire à un appareil moderne avec un ordinateur à l’intérieur.
Le néo-rétro est habituel chez les hybrides : Pen numériques, OM‑D, Fujifilm X en particulier lorgnent systématiquement sur des design à l’ancienne. Mais lorsque l’on poussait cette logique jusqu’à reprendre des pans entiers de design, comme sur les séries X100 et X‑Pro, on en profitait pour réellement en faire quelque chose sur le plan technique, comme leur viseur optique/électronique ; sinon, on reprenait l’allure générale, quelques détails en clin d’œil, mais on ne masquait pas la modernité. Le Pen‑F va lui très loin dans le design, mais reste à l’intérieur exactement comme les autres. Pire : c’est le plus gros des Pen (alors même que le concept Pen a toujours été de faire petit, même au temps des compacts argentiques), il fait en fait à peu près la taille de l’OM‑D E‑M10, et cela faisait des années qu’un appareil de ce prix n’avait pas inclus de protection anti-ruissellement — à 1 200 € nu, il est au moins aussi cher que l’E-M5 II, le GX8, l’EOS 70D ou le D7200, tous conçus pour survivre à la pluie.
De loin, vous voyez un type mal taillé en jean-chemise qui passerait bien dans le décor de Sur la route, mais dès que vous approchez un peu, vous voyez qu’il ne lâche pas son iPhone, tousse à la moindre poussière et ne parle que de coiffure et de fringues. C’est ça, le concept du Pen‑F, le premier hybride hipster.