Voir loin, voir net
|Vous savez quoi ? En matière de capture d’image, le truc qui m’a le plus fait planer à la Canon Expo, j’ai vu personne en parler dans la presse francophone. Il faut dire que Canon ne l’a pas spécialement mis en avant : c’est une technique planquée dans une vidéo sur leur prototype de capteur de 250 Mpx (et vous savez ce que je pense de cette course à la définition), qui met surtout en avant sa capacité à capter de petits détails à grande distance¹.
L’idée est simple : c’est d’utiliser plusieurs images pour analyser les variations et supprimer le voile atmosphérique. Dans l’exemple, c’est une vidéo Full HD extraite d’une petite zone du capteur qui est utilisée comme source, mais le principe est tout autant applicable à une rafale.
Ça, c’est une technologie qui peut changer la vie à certaines personnes, en particulier si on arrive à l’appliquer à des éléments mobiles. Quand on photographie à longue distance, surtout si le sujet est près du sol, les turbulences atmosphériques sont la première limite à la qualité d’image, bien avant le piqué de l’optique, la définition du capteur ou la vitesse d’obturation.
Mon exemple favori, c’est ce décollage de Constellation au Bourget en 2011. La rotation est faite à peu près au milieu de la piste 21, et je suis dans le parking en face. La distance est de l’ordre d’un kilomètre et demi, en comptant large. Il fait chaud, l’asphalte capte la chaleur et augmente encore la température de l’air alors que l’herbe le maintient relativement frais, entraînant des remous entre volumes de températures différentes ; la différence de réfraction entre air chaud et air très chaud crée des distorsions très visibles. Si un algorithme permettait, à partir de quelques images successives, de détecter d’une part l’arrière-plan, d’autre part l’avion, et d’appliquer une réduction des turbulences sur ces deux objets, il aurait été possible de filmer ou mitrailler la scène, puis de l’améliorer par voie logicielle — la rotation d’un Connie n’étant pas très rapide, sur une succession d’images assez serrée, il est sans doute possible d’en avoir quatre ou cinq où son changement d’attitude est négligeable.
Cette idée n’a rien de neuf : la première fois où j’en ai entendu parler, j’étais adolescent. C’étaient des astronomes qui bossaient sur des corrections logicielles permettant, à partir de plusieurs images, d’analyser et de contrer le voile atmosphérique, permettant d’obtenir avec un télescope terrestre une qualité d’image jusque là accessible uniquement avec des télescopes spatiaux. La voir débarquer dans des appareils ou des logiciels grand public pourrait intéresser par mal de monde (photographe aéro et animaliers, géomètres, paparazzis bien sûr…).
Ce n’est pas le seul rapport avec l’astronomie : à la Canon Expo, on trouvait également une maquette du télescope Subaru de l’observatoire astronomique national japonais, dont la construction a débuté à Hawaï pour fêter les cinquante ans de l’assaut de Pearl Harbor². Canon présentait en fait le bloc optique du HSC (hyper subprime-cam), un outil d’imagerie à champ large — la surface sensible compte 116 capteurs CCD couvrant un diamètre de 60 cm — inauguré en 2012.
Le bloc optique est composé de sept lentilles en six groupes, dont un élément asphérique de 80 cm de diamètre dont Canon est particulièrement fier (j’avoue, ça a dû être chaud à fabriquer). La prochaine fois que vous trouverez que votre 600 mm est lourd, pensez‑y : Canon fait aussi des blocs de… 890 kg. Et ce n’est même pas un objectif, juste un bloc correcteur permettant de contrer les aberrations du miroir principal, une dalle de verre concave de 15 m de focale et 8,2 m de diamètre, pesant même pas 23 tonnes.
Si malgré tout vous trouvez que votre 600 mm est trop encombrant, bonne nouvelle : la prochaine génération devrait être plus compacte. En fait, au pifomètre, le prototype présenté devait faire à peu près la longueur habituelle d’un 400 mm (pas le dernier 400 mm DO, qui fait la taille habituelle d’un 300 mm, suivez un peu !). Bien entendu, le produit fini ne ressemblera pas à ça ; en particulier, le support des éléments antérieurs sera largement revu — sur ce proto, il déborde de deux bons centimètres autour de la lentille frontale.
Là encore, Canon a fait dans la correction optique aux petits oignons et communique beaucoup autour de son optique réfractive dans le spectre bleu, baptisée BR. Il s’agit d’un élément dont l’indice de réfraction évolue de manière différente des verres normaux, entraînant une dispersion marquée des faibles longueurs d’onde (bleu-violet), sans que la dispersion du reste du spectre (du rouge au vert) soit réellement modifiée. Il permet ainsi de diminuer l’aberration chromatique en contrant celle qui reste avec les corrections classiques. Sur le papier, la performance est intéressante, mais il faut noter que le principe n’a absolument rien de neuf : utiliser des verres dont les courbes de réfraction diffèrent pour annuler la dispersion chromatique, c’est le principe même du doublet achromatique, inventé dès le 18è siècle et amélioré avec le triplet apochromatique. Sur ce coup-là, Canon a donc apporté un nouveau peaufinage plutôt qu’une idée nouvelle et, s’il sera intéressant de vérifier l’efficacité de cet objectif à sa sortie, ça ne méritait peut-être pas autant de battage.
¹ Notons en passant que Canon a du mal à mesurer des distances : dans la vidéo, ils placent l’appareil vers Marly, puis annoncent que la tour Eiffel est à 13 milles (soit 21 km) et la Défense à 9,3 milles (15 km). La Défense étant étalée entre 4,5 et 5,5 km de la tour Eiffel, il n’y a pas un point sur Terre qui corresponde à ces mesures, et sûrement pas vers Marly. (En fait, je pense qu’ils ont juste confondu milles et kilomètres, mais je n’ai pas identifié avec certitude le point de prise de vue.)
² Ceci est un troll gratuit, ne prenez pas cette phrase au sérieux. Mais la construction a vraiment débuté en 1991, la mise en service datant de 1999.