Balance du roux

Comme beau­coup de gens au début de la semaine, je me suis levé au milieu de la nuit pour pho­to­gra­phier la Lune, qui avait la bonne idée de faire éclipse. Vous en avez for­cé­ment enten­du par­ler : la Lune est alors, pen­dant une petite heure, plan­quée dans le cône d’ombre de la Terre, et n’est éclai­rée que par les rayons déviés par l’at­mo­sphère ter­restre. Celle-ci filtre le bleu : la Lune paraît donc rougeâtre.

Lune rousse, balance des blancs auto

Ce qui est amu­sant avec une Lune rousse, c’est que c’est un très bon sujet pour par­ler de balance des blancs. D’a­bord, parce que la cou­leur de la Lune ne change évi­dem­ment pas, elle est tou­jours grise ; c’est l’é­clai­re­ment qua­si­ment dépour­vu de bleu qui la fait paraître rouge.

Ensuite, à par­tir d’un fichier Raw, on peut modi­fier la balance des blancs. Ci-des­sus, j’ai gar­dé le réglage effec­tué auto­ma­ti­que­ment par l’ap­pa­reil pho­to. Mais si je mets un coup de pipette dans la mer de la Sérénité…

Même fichier, balance des blancs à 2130 K.

…la balance des blancs des­cend à à peine plus de 2000 K, et la Lune retrouve son gris natu­rel. On pour­rait presque la croire éclai­rée par le Soleil comme d’ha­bi­tude, si ce n’é­tait pour la teinte bleu­tée que prend la zone la plus proche des limites du cône d’ombre, qui reçoit une lumière moins fil­trée et plus proche du blanc.

Lune rousse, WB=1500 K.

On peut aller plus loin. En calant la balance des blancs à 1500 K, on fait plus que neu­tra­li­ser le roux : on arrive à faire res­sor­tir des zones bleues. Le résul­tat est sur­pre­nant : c’est car­ré­ment une petite sœur de la Terre qu’on voit, avec des océans bien bleus (il y a même un atoll coral­lien à la place de Tycho !) et des conti­nents jaunes-verts.

Le réglage de balance des blancs est, à l’o­ri­gine, conçu pour retrou­ver des cou­leurs natu­relles lorsque l’é­clai­rage est défaillant — donc, typi­que­ment, pour réa­li­ser la deuxième pho­to, celle où la Lune a ses vraies cou­leurs. Mais on peut aus­si l’u­ti­li­ser à des fins plus amu­santes, comme créer une pla­nète de science-fic­tion à par­tir d’une Lune rousse, mais ce n’est pas la seule uti­li­té de ce paramètre.

Si les séries amé­ri­caines en sont friandes (pen­sez aux codes cou­leurs de Game of thrones, par exemple : indé­pen­dam­ment de l’en­droit où les scènes sont tour­nées, une balance chaude donne l’im­pres­sion que la région de Mee­reen est plus chaude que celle, plus neutre, uti­li­sée dans les scènes à King’s Lan­ding), c’est qu’en réa­li­té la balance des blancs influence pro­fon­dé­ment notre per­cep­tion d’une image. Ce simple réglage peut faire pas­ser une même scène du dur au doux, ren­for­cer un effet dra­ma­tique ou don­ner une allure confortable.

WB_Puma

Il n’y a ici qu’une varia­tion de la balance des blancs, mais l’i­mage de gauche paraît plus dure que celle de droite ; ins­tinc­ti­ve­ment, elle nous met immé­dia­te­ment en ten­sion (que fait cet héli­co­ptère, quelle est son inten­tion ?), alors que la ver­sion plus chaude paraît plus douce et moins inquié­tante. C’est une mani­pu­la­tion plus simple et plus rapide, mais pas tou­jours moins effi­cace que les retouches plus avan­cées, pour modi­fier la per­cep­tion de l’image.