Le jour où j’ai posé l’appareil
|Je ne suis pas vraiment photographe : je teste des appareils photo, et j’aime faire des photos. Ça tombe bien, ce sont des activités qui vont plutôt bien ensemble. Du coup, dans la vie quotidienne, il est relativement rare que je n’aie pas un appareil sur moi (voire extrêmement rare si on compte celui du téléphone) et, même si je me suis beaucoup calmé sur le déclencheur, je n’hésite guère à shooter lorsque je vois des amis, lorsque j’assiste à des événements ou lorsque je vois un truc joli.
J’ai aussi été amené à photographier des choses moins sympas. Des incendies de véhicules, des accidents… Rien que l’été dernier, quand j’ai entendu un gros “schlonk” derrière moi en marchant dans la rue, sitôt identifié son origine (une bagnole venait de grimper sur une banane au milieu de la chaussée, en fauchant au passage les barrières de sécurité d’un passage piétons), mon premier réflexe a été de sortir l’appareil. Je suppose avoir remarqué en passant qu’il n’y avait personne d’allongé sous la voiture, mais j’avoue n’avoir pas plus que cela cherché à vérifier.
Au Monte-Carlo 2007, il y avait un stock de spectateurs entassés à l’extérieur d’une courbe. Lorsque le troupeau s’est brutalement égaillé pour laisser le passage à une Clio en perdition, j’ai subrepticement pensé “s’il y en a un qui glisse, il finit dessous”, mais ce n’est qu’au temps de recharge du flash que vous devez de ne pas avoir une rafale.
Par ailleurs, j’ai aussi eu des potes qui se sont plantés dans la neige ou raclé la gueule le long d’un rocher, et ma réaction a souvent été la même que lorsque c’est moi qui me suis explosé le bras en courant : prendre une photo.
Pourtant, il y a quelque temps, il s’est passé un truc bizarre : j’ai posé mon appareil. J’étais sorti photographier des sportifs de mes amis, et l’une d’entre eux s’est blessée. Rien de très grave a priori, mais elle avait bien mal, au point de repartir en ambulance.
Et là, curieusement, j’ai posé l’appareil. Et même lorsqu’une camarade qui partage mes perversions mais qui n’avait pas son reflex sur elle m’a demandé d’immortaliser l’événement, je lui ai filé le boîtier avec un “boaf, pas envie, fais-toi plaisir si ça t’amuse”. Et même après, lorsque j’ai rapatrié le contenu de la carte mémoire et commencé à regarder les photos du jour, j’ai survolé ces images en les envoyant à leur auteur. Et lorsque la blessée les a réclamées, je l’ai redirigée vers celle-ci plutôt que de retourner les chercher dans le dossier d’importation.
Et là, je réalise un truc : en fait, mon obsession photographique est plus ou moins couplée à mon obsession mémorielle. Je photographie ce dont je veux me souvenir, ce qui m’intéresse, me révolte, me plaît ou m’amuse. Mais quand il se passe quelque chose dont je me dis que je ne trouverai jamais ni instructif, ni amusant d’y repenser, je n’ai plus aucune envie d’immortaliser l’événement.