Portrait brut ou retouché : faux débat ?
|C’est marrant, comme une publication sur Facebook peut dériver en réflexion philosophique. Cet après-midi, une copine d’un copain, maniaque de photo (et plutôt très bonne dans sa spécialité, soit dit en passant, même si elle est loin d’être seule¹), a partagé une actu assez anecdotique : le studio Harcourt a ouvert une cabine de photogaphie instantanée².
Ça a vite tourné à la critique du style Harcourt, puis à la critique de la retouche elle-même et à la sempiternelle question : est-ce qu’une photo retouchée est une photo ?
À ce stade, un de nos “amis” communs, un certain Benoît Marchal, s’est carrément fendu d’un billet, profitant de ce que j’avais un bail à signer pour le publier avant même que je commence à rédiger le mien. Cependant, comme je pensais pas du tout au même axe que lui, j’ai persisté à gamberger de mon côté, et voilà le fruit de cette réflexion.
Le truc qui m’a accroché, c’est que j’ai moi-même eu droit à un portrait Harcourt, de même qu’une poignée de confrères triés sur le volet pour leurs qualités humaines et professionnelles irréprochables (et parce qu’ils n’avaient rien d’autre à faire un dimanche). La reproduction des portraits Harcourt étant strictement interdite, je ne mettrai ici que l’extrait qui m’intéresse, sous couvert du droit de citation destiné à illustrer une œuvre polémique ou pédagogique.
Donc, de manière générale, un “portrait Harcourt” est caractérisé par un éclairage particulier, donnant un fond non uniforme allant du blanc au noir, un tirage en noir et blanc avec des demi-teintes assez douces, un cadrage en plan poitrine ou en plan américain, et une retouche massive.
Dans mon cas, cette retouche se manifeste particulièrement sur le visage. Normalement, j’ai une ride au milieu du front, signe que je réfléchis beaucoup, et avec un demi-sourire crispé comme ça je commence à avoir des pattes d’oie autour des yeux, signe que j’ai plus vingt ans.
Ici, rien de tout ça : c’est la magie du logiciel utilisé (au hasard, probablement Photoshop) et des huit centimètres d’épaisseur de fond de teint. J’ai dix ans et quinze cils de moins qu’en vrai.
Est-ce grave ? Non. On pourrait même objecter que j’ai l’air plus en forme là-dessus que dans la rue, j’aurais du mal à prétendre le contraire. C’est d’ailleurs souvent pour ça que les photographes de mode, quels qu’ils soient, retouchent les photos qu’ils publient : leur but est de rendre le modèle plus beau qu’il n’est au naturel, pour que l’illustration attire et fasse vendre.
Mais ce n’est pas ce que moi, j’attends d’un portrait. En fait, je n’appelle pas ça un portrait — me traitez pas de facho des mots, y’a des gens qui vont jusqu’à interdire de parler de photo dès qu’on touche à autre chose qu’aux courbes.
Le but d’un portrait, pour moi, c’est de donner une personnalité au sujet. Ça ne veut pas dire le représenter tel qu’il est, sans mise en scène ; ça ne veut pas dire ne pas améliorer tel ou tel détail. Mais la première caractéristique d’un portrait, c’est qu’on doit y trouver la personne photographiée.
C’est une réflexion qui, en ce qui me concerne, ne date pas d’aujourd’hui, mais d’il y a déjà quelques mois. Et c’est déjà d’une certaine manière la maison Harcourt qui avait lancé le truc, lorsqu’un de leurs photographes avait tiré le portrait d’une consœur, hors du studio mais un peu dans le même style.
Le truc qui m’a frappé, c’est qu’au premier coup d’œil, je me suis demandé qui c’était. J’ai eu l’impression de voir une photo officielle de promotion d’un film avec la petite sœur de Romy Schneider dans le rôle principal. J’ai surtout pas retrouvé la fille que je connaissais.
La raison, c’est sans doute que Harcourt a une poignée de styles, desquels ses photographes ne sortent quasiment jamais. Les poses, les éclairages, les cadrages sont très standardisés, ce qui d’un côté donne une identité immédiatement reconnaissable très favorable aux affaires (le style de l’image est une signature Harcourt, au moins autant que la griffe apposée sur les tirages) mais d’un autre côté restreint le champ des personnalités exprimables.
J’ai vu beaucoup de portraits. Des flatteurs, d’autres moins. Mais le portrait réussi est celui qui fait ressortir un bout de personnalité ou une attitude caractéristique du sujet. C’est, du reste, ce que faisait assez régulièrement Luc Roux pour Studio magazine ; je conseille à ceux qui le peuvent de faire un tour au café de l’UGC des Halles pour voir de quoi je parle (très belle galerie, le meilleur truc de tout le complexe des Halles).
Harcourt le fait parfois. Anglade a eu droit à un portrait en diagonale assez inhabituel, Barrichello a gardé sa peau granuleuse et son bouc miniature, et bien sûr Lindon a eu droit à un traitement sublime, très anti-harcourtien quelque part, très éloigné aussi des rôles de gentil qu’il a d’habitude, mais que j’adore absolument justement parce que je reconnais tout de suite que c’est lui, tout en reflétant un aspect de lui dont je n’ai pas l’habitude.
Mais même chez les stars, le style Harcourt est souvent un peu “trop”. Bekthi est méconnaissable, Bouquet ressemble à une caricature d’elle-même jouant une plante verte, Canet est transformé en n’importe quel beau gosse de service… Éteints, lissés, il ne s’agit plus pour moi de portrait mais de photo d’illustration.
On pourrait aisément croire que c’est la retouche qui est ici un problème, notamment le lissage excessif qui gomme toute expression. Mais je crois que c’est la démarche elle-même qui, loin de chercher à montrer une personne, vise à assurer une illustration au style constant, selon les critères de beauté en vogue.
C’est sans doute idéal pour publier dans un magazine, mais je doute fort que ce soit ce que recherchent les gens qui viennent se faire tirer le portrait.
¹ Ceci s’appelle de la lèche, c’est destiné à m’incruster à leur prochaine sortie photo. J’ai même pas honte.
² Au quotidien, vous dites sans doute “Photomaton”, mais c’est comme “Canadair” pour “bombardier d’eau” ou “Frigidaire” pour “réfrigérateur” : faut pas.