Défi à la con, bilan
|31 jours de mai, 31 photos. Pour la deuxième fois, j’ai tenu bon jusqu’au bout, même les soirs où j’avais vraiment pas la tête à ça, et même si j’ai souvent bâclé le truc.
Au passage, j’ai donc passé un mois avec Bibble 5 Preview 2, dont je me suis servi de bout en bout pour trier et surtout développer les photos. L’interface a des côtés vraiment sympa, les réglages essentiels sont sous la main et plutôt bien organisés, le traitement zone par zone ne sert pas souvent mais se révèle rigoureusement indispensable les jours où il sert, au point qu’après y avoir goûté on se demande comment on peut s’en passer !
Au départ, je pensais devoir régulièrement repasser sous GIMP pour tel ou tel effet (je pensais notamment au mélangeur de canaux pour le passage en noir et blanc), mais in fine je ne l’ai utilisé qu’une fois, pour l’assemblage d’aujourd’hui — Bibble 5 pv2 ne gère pas les assemblages, mais je me suis laissé dire que ça risquait d’être proposé par un plug-in dans la version finale. Pour le noir et blanc, le plug-in intégré fait vraiment bien son boulot, les différentes méthodes couvrent bien les besoins et on peut retrouver les effets du mélangeur en passant par… les courbes des couleurs, logique.
Finalement, hormis ses nombreux plantages (notamment lors de traitements de zones un peu compliquées) et un bug qui m’a obligé à réinitialiser la bibliothèque à un moment donné, qui confirment qu’il reste du boulot pour la finale, Bibble 5 a rempli son office de manière satisfaisante. Je lui reprocherai donc surtout des petits détails d’interface, comme l’absence quasi-totale de gestion du clic droit — et pourtant, il y a plein d’options qu’on aimerait parfois avoir sous la main, sans devoir retourner les chercher dans la barre d’outils par exemple.
Ceci étant, le billet parle du défi, pas de Bibble 5, donc passons au défi.
Globalement, on distingue clairement trois types d’images : il y a un gros lot très bateau de tiens, aujourd’hui, j’ai vu ça, il s’est passé ça, etc, globalement assez inintéressant. C’est le cas notamment de la quasi-totalité des photos prises au bureau…
Beaucoup plus rares, il y a les photos plus réfléchies, qui fonctionnent ou non. J’ai bien entendu commencé par une de celles-là, qui fonctionne plutôt bien d’ailleurs :
J’avais plus ou moins repéré le coin la veille — je n’avais pas choisi l’endroit précis de la prendre, mais j’avais noté les demi-stations à l’abandon avec leurs rails rouillés.
Le 7 mai, coup de bol : y’avait une photo pas trop mal dans celles que le HX1 a bien voulu faire à trois heures du matin, malgré une batterie plate et un photographe plein (ce qui rassure, c’est qu’aucun des individus présents n’a été capable de me dire ce qu’était le truc auquel le barman a foutu le feu avant de le servir). Je me souvenais avoir passé du temps à soigner ce cadrage, en gardant un pilier à gauche pour fermer l’image et en utilisant rue et bâtiments pour faire des fuyantes symétriques…
…restait à soigner le développement. La simulation de traitement croisé va bien au sujet et permet d’accroître le contraste, et au passage j’apprécie le capteur du HX1 qui bruite beaucoup, mais uniquement en luminance — pas d’aplats colorés comme sur un certain 12 Mpx à la mode, donc possibilité d’obtenir des résultats granuleux, mais pas vilains.
Le lendemain, second coup de bol, qui me coûte une bonne demi-heure : un métro fer est arrêté sur l’ancienne voie de communication entre les lignes 1 et 5 à la gare de Lyon, où ne passent plus que des métros pneus depuis quelques décennies déjà. Je teste plusieurs angles, d’un bout à l’autre de la rame, et finis par trouver un poste sympa dans l’accès à la gare SNCF.
La symétrie entre un quai en service plein de gens, mais sans métro, et un quai désaffecté avec un train en attente me plaît, et au bout de deux minutes un agent RATP grimpe dans la rame en question, ajoutant un peu d’activité à droite. C’est aussi la première fois que j’ose pousser les curseurs de saturation, notamment dans les jaunes, pour faire ressortir les piliers et les faire répondre au vert du train. Le résultat n’est pas trop caricatural, donc ça marche.
Le 12 mai, besoin de causer avec une personne de mon entourage, je m’arrange pour la croiser en sortant du boulot. Mais elle évite soigneusement le sujet intéressant, et j’ai pas le courage de le lui imposer. Du coup, grosse gamberge dans le métro, envie de tout plaquer — défi à la con, collègues, boulot, tout. Je suis très sérieusement décidé à laisser tomber au moins de défi débile, j’ai pas du tout envie de me prendre encore le chou pour chercher une photo… Arrivé chez moi, je me sens complètement perdu, paumé en territoire hostile, et surprise : brusquement, j’ai mon sujet.
Perdu. Et maintenant, c’est par où ? Un plan de Paris (Google Maps plus précisément), une boussole et sa couronne d’orientation, le tout soigneusement bloqué pour indiquer trois nords différents. Une dizaine d’essais pour que l’éclair du flash ne masque pas tout (nota : les billets SNCF, ça fait bien pour bricoler des diffuseurs, mais faut faire gaffe à ne pas orienter la piste magnétique vers le flash sous peine de la fondre avec une atroce odeur de brûlé), noir et blanc par le maximum rouge/bleu, le rendu un peu parcheminé dû à la matrice de l’écran me plaît bien.
Le 13 mai, je fais un truc que j’avais voulu faire il y a presque un an, mais que j’avais abandonné en voyant qu’une partie de la tour sud était fermée. Là, tout était ouvert, donc j’ai visité les coins intéressants de Notre-Dame de Paris.
Après quelques volées de marches, dans des colimaçons étroits baignés de lumière artificielle, je savais quelle photo je voulais : une qui rendrait l’aspect lourd de l’escalier, sans que le côté artificiel de l’éclairage ressorte trop. J’ai dû faire trois ou quatre images, avec le 17–70 au plus grand angle, à hauteur de taille, en cherchant le moment où le type de devant aurait la tête suffisamment penchée pour donner une impression de harassement. En développant le DNG, un coup de courbes bien agressif, une accentuation poussée pour faire ressortir le grain et un noir et blanc sur le seul canal vert (où le grain de la pierre était le plus visible) m’ont donné le rendu souhaité — j’avais un peu en tête du HP5+ ou un film du genre, voyez.
Le 15 mai, ma collègue d’en face a l’air passionnée par ce qu’elle regarde. Elle est assise au bon endroit : entre ses deux écrans et le mien, et dès le deuxième essai, j’arrive à choper son œil.
Malgré la sensibilité (1600 iso, permettant de conserver une vitesse correcte malgré la luminosité médiocre du 17–70 à fond de zoom), le résultat n’est pas trop granuleux, et une petite courbe en S toute bête permet de faire ressortir à la fois l’œil et les tâches de rousseur. Les écrans, bien floutés par la faible profondeur de champ, forment un cadre naturel qui me plaît bien, et la teinte bleutée du mien renforce le joli visage derrière.
Le 17 mai, surlendemain d’une longue discussion qui me pose plein de questions, humeur délicate. Autant en profiter pour faire un autoportrait — faut bien en faire de temps en temps.
Grand angle à faible distance, je trouve assez vite l’axe où la lumière va durement souligner les traits, j’ai pas besoin de trop me forcer pour avoir l’air de vouloir tuer tout le monde. Le grand-angle impose, malgré la généreuse ouverture, un arrière-plan un peu trop présent, tant pis. Au développement, une courbe prononcée, un noir et blanc par les minima pour densifier le visage et faire ressortir le grain de peau.
Le 19 mai, haut de crête : mon moral se sent bien, j’en profite bêtement. Le soir, en sortant de la douche, je me dis que c’est le moment de prendre un autoportrait genre rêveur, pour contrebalancer celui du 17.
J’ai besoin d’une vingtaine de photos pour obtenir l’effet voulu — le regard en l’air, le cadrage sans arrière-plan trop envahissant (avec le TZ6, il n’y a guère moyen de le flouter…). Développement en noir et blanc, un coup violent de correction du vignettage pour créer une aura autour de la tête.
Le 27 mai, je retourne sur un endroit repéré… le 5 au soir, enfin, plus exactement, le 6 au matin, et que je retrouve directement malgré un repérage effectué avec un cerveau légèrement altéré.
Clin d’œil à un chanteur connu pour son ivrognerie passée, qui en 1983 parlait de ce Rendez-vous des amis. Passé pas mal de temps sur les courbes pour obtenir ce résultat, où la teinte verte de la peinture ressort bien sans pour autant lui faire perdre son côté patiné, vieilli.
Enfin, aujourd’hui, le défi est simple : résumer un mois de doutes, d’angoisses, un mois assez glauque en fait, en une image.
En fait, je triche : il y a deux images, l’une développée avec un fort vignettage, une courbe en S prononcée et une large suppression de saturation, la seconde sortie en noir et blanc de base, et les deux assemblées sous GIMP. Mon écran n’est pas assez brillant pour faire les deux en une seule.
Enfin, la troisième catégorie d’images, ni opportunistes, ni artistiques, à laquelle je ne m’attendais vraiment pas lorsque ce défi a été lancé, ce sont les expressions, celles des jours où j’avais besoin de dire quelque chose pour pas exploser tout de suite. Bien sûr, celle du 12 a autant sa place ici que dans les photos pensées et recherchées.
C’est le cas en particulier de la série Panurge/Bile/Pas glop du 21 au 23 mai.
Pas envie de revenir sur les deux premières. Pour la troisième, j’en rajoute avec un cadrage resserré et étouffant, je pousse l’accentuation au maximum pour obtenir autant de bruit que possible et amplifier les artefacts de compression.
Je m’attendais pas à sortir ce style de série, et je me rends compte que j’avais jamais vraiment jusqu’à présent considéré la photo comme un moyen d’expression à part entière ; pour moi, c’était plus un outil de témoignage ou de partage — bref, une approche très “reportage”.
Lors de la première session, en août-septembre dernier (avant que Ghusse ne s’avise que commencer le 1er et finir le 31, ça simplifie bien des choses), j’avais un plan de route assez bien défini avant de commencer, et je m’y suis plutôt bien tenu — malgré quatre “hors-sujet” en cours de route. Je m’étais concentré surtout sur les lieux de prise de vues, avec une idée en tête à chaque fois, et sur place j’ai cherché le détail amusant ou insolite, le paysage, le coup d’œil, cherchant à partager un étonnement ou un clin d’œil (en fait, chaque photo contenait au moins un clin d’œil). Une seule avait fait l’objet d’une mise en scène digne de ce nom, c’était 40 ans, où j’ai réglé l’appareil et utilisé le retardateur pour aller me poser dans le cadre, mais l’objectif était uniquement de renforcer une mise en abîme.
Cette fois-ci, je me rends compte que ma pratique a radicalement évolué, et même si l’approche reportage se retrouve ici ou là (au fait, joli sourire, consœur), j’ai beaucoup plus travaillé sur la photo mise en scène ou à tout le moins censée exprimer quelque chose : fatigue, tension, détente, amusement même… Et je sais par certains retours que parfois, ça a plutôt bien marché (sorry miss). Mine de rien, tout en ayant souvent l’impression d’expédier ça pour m’en débarrasser, j’ai au final le sentiment d’avoir beaucoup plus travaillé avec ma tête, et beaucoup moins avec mes seuls yeux, qu’en août dernier. J’ai aussi beaucoup plus soigné les développements, mais là c’est sans doute tout simplement le résultat du changement de logiciel — GIMP est pas exactement optimisé pour la photo…
Je sais pas si tout ça deviendra une habitude, et si la relative homogénéité de ces séries — une fois éliminées les photo bateau de remplissage — préfigure une évolution durable de ma pratique. Pour l’heure, les projets immédiats devraient plutôt me renvoyer directement à ma bonne vieille habitude du reportage : ma prochaine sortie photos, c’est a priori le rallye Terres du Diois, le week-end prochain (oui, non, moi aussi je trouve ça très con de faire un rallye un jour d’élections, mais quelque part ça m’arrange). Je pense en tout cas que sans ce défi, je me serais certainement pas mis en scène de la sorte ; je sais pas si c’est une bonne chose, mais le résultat n’est pas inintéressant.