La sensibilité comme paramètre d’exposition
|Bon, au départ, ça devait être un commentaire sur le blog de Luc Saint-Élie, qui bosse chez Panasonic et s’est permis un petit coup de gueule pas dénué de fondement à l’encontre de : ceux qui attaquent le G1 sur le seul fait que ce n’est pas un reflex ; les pressions diverses de certains fabriquants de reflex pour éviter qu’on compare ce petit boîtier étonnant à leurs produits.
Au passage, il a bien entendu rappelé que ce bébé devait être une petite révolution en rompant les ponts avec la conception argentique, et a parlé d’une autre révolution à chercher du côté de chez Nikon, avec le petit D700 :
“Nous ne sommes pas très loin du jour où le photographe se dira ‘cette photo je vais la faire à 1/125 f:8’ sans soucier de questions de sensibilité avec comme sous entendu, ‘l’appareil utilisera le niveau d’amplification qui va bien, de toutes façons ça n’aura pas d’impact sur le résultat’.”
À ce sujet, on est à fond dans les conservatismes issus de l’argentique.
Mais là, même les compacts peinent à franchir le pas et à considérer la sensibilité (ou, plus justement, l’amplification du signal) comme un paramètre de prise de vue à part entière, chose d’autant plus dingue que la plupart d’entre eux n’ont qu’un “diaphragme” à deux positions (typiquement f/2,8 et f/8 en grand angle).
Ils peuvent ajuster la sensibilité grosso modo, pour conserver un résultat potable, de 100 à 800 iso, soit 3 EV en au moins 3 paliers (mais pas de problème pour ajouter des paliers), mais ils ne peuvent ajuster l’ouverture que sur 3 EV en un seul palier. Pourtant, la sensibilité y varie souvent peu, et d’un coup, en mode automatique, et c’est le dernier paramètre que l’on peut sélectionner manuellement, l’ajustement continuant à être confié essentiellement au couple ouverture/temps de pose !
Sur un D700, cela en devient totalement ridicule : l’appareil crache des photos d’une propreté ahurissante de 200 à 6400 iso. En ajoutant le 100 iso, où l’on perd un peu en dynamique dans les hautes lumières, on a 6 EV utilisables sans gros risque et ajustables par paliers de 1/3. En comparaison, l’ajustement de l’ouverture sur un zoom courant avec ce boîtier, le 24–70/2,8, joue sur 4 EV : en-dessous de f/4, il manque d’homogénéité (okay, c’est méchant, sachant qu’à f/2,8 il est meilleur dans les angles que bien des objectifs de kit en plein centre), et dès f/16 la diffraction se fait sentir.
En outre, un bon paquet de photographes seraient sans nul doute intéressés par le choix d’une profondeur de champ et d’un niveau de filé (car c’est bien à ça que servent ouverture et temps de pose, au moins autant qu’à régler l’exposition), l’appareil se démerdant pour exposer correctement.
Mais Nikon, en plein conservatisme argentique, reste sur une conception antédiluvienne de la “sensibilité” : impossible d’utiliser la sensibilité automatique en mode manuel (seul permettant de contrôler simultanément temps de pose et ouverture), et bouton iso renvoyé à l’autre bout de l’appareil. Finalement, il est à peine moins compliqué de changer la sensibilité sur un D700 que sur un F6 ! Sur le D90, qui permettrait raisonnablement un ajustement de 100 à 1600 iso, c’est encore pire : le bouton iso est en double fonction avec la loupe, ce qui le rend inopérant en Live View. J’ai pas l’habitude de dire du mal de l’ergonomie Nikon, mais quand faut y aller…
Un seul constructeur a fait un pas. Un seul. Pentax. Le mode TAv des K10D et K20D, c’est exactement cela : on règle ouverture et vitesse, et l’appareil adopte la sensibilité correcte pour exposer comme il faut. Même un électronicien décidé à faire exploser les convenances comme Panasonic reste sur une gestion archaïque de la sensibilité, à moins que j’aie raté un épisode dans mes dix minutes avec le G1 (Luc, tu me reprends si c’est le cas ?).
Pourtant, il y a là une révolution à attendre dans la façon de faire des photos, bien plus sensible à terme que le fait d’avoir une visée reflex, une visée télémétrique (au passage, la plupart des reflex dans les années 70 étaient également télémétriques puisqu’ils incluaient un stigmomètre, et personne ne se prenait le chou pour savoir si vraiment on avait le droit d’appeler ça des reflex) ou une visée électronique. Je suis raisonnablement certain que dans dix ans, nous seront fort nombreux à viser sur du LCoS ou du LCD, à passer de la photo à la vidéo en tapant un bouton et à laisser nos appareils choisir eux-mêmes la sensibilité comme variable d’ajustement ; et quand on nous demandera ce qui a le plus changé depuis nos débuts en photo, nous répondrons sans doute plus “la fusion du camescope et de l’APN” ou “ne plus penser au bruit numérique” que “ne plus viser sur un verre dépoli”.