Le cahier des charges

Vous êtes joueurs ? Oui, tout le monde aime jouer. Allez, je vous pro­pose un jeu.

Ça s’ap­pelle le cahier des charges. L’i­dée est simple : je vous donne un cahier des charges, et vous ima­gi­nez un pro­duit qui correspond.

Vous êtes prêts ? C’est parti.

Je vou­drais une camé­ra de sport la plus com­pacte pos­sible, avec une inter­face épu­rée et un ultra-grand-angle. Je vou­drais sur­tout pou­voir la mettre dans n’im­porte quelle posi­tion dans son sup­port, et qu’elle soit quand même bien main­te­nue. Et elle doit résis­ter aux chocs, évidemment.

C’est bon, je ramasse les copies.

Alors, le coup de n’im­porte quelle posi­tion, y’a pas trente-six solu­tions : elle doit avoir les mêmes dimen­sions dans tous les sens. Une sphère ou un cube, donc. La sphère, c’est com­pli­qué à fixer cor­rec­te­ment, par­tons donc sur un cube. On veut que ça résiste aux chocs, donc on va évi­ter les arêtes et arron­dir les liai­sons entre les faces. Vous avez pla­qué un fish-eye sur une face, le cap­teur et la bat­te­rie der­rière. Bien tas­sé, le tout tient dans 4 cm de côté. Pour ce qui est de l’in­ter­face, puisque je vous ai deman­dé d’al­ler à l’es­sen­tiel, vous avez mis un gros bou­ton : appuyer pour démar­rer, appuyer pour arrê­ter. Pour le reste, on fera une appli­ca­tion sur le téléphone.

Féli­ci­ta­tions : vous pou­vez vous faire atta­quer en justice.

GoPro Hero4 Session en haut, Polaroid Cube en bas. documents constructeurs
GoPro Hero4 Ses­sion en haut, Pola­roid Cube en bas. docu­ments constructeurs

C’est en effet, d’a­près le Wall Street jour­nal, ce qui vient de faire C&A Mar­ke­ting, qui fabrique et dis­tri­bue la Pola­roid Cube. Elle attaque GoPro, arguant que la Hero4 Ses­sion enfreint un bre­vet qu’elle détient sur une camé­ra cubique.

Ce n’est pas le pre­mier cas de pré­ten­du pla­giat pour des formes sim­ple­ment dic­tées par le cahier des charges. D’ailleurs, si on met de côté les exi­gences de celui-ci, les dif­fé­rences sont notables : la GoPro est très car­rée, noire et “virile”, alors que la Pola est arron­die, colo­rée et desi­gn. En fait, tout ce qui ne découle pas évi­dem­ment du cahier des charges est différent.

On retrouve un peu le cas du “concord­ski”, le Tupo­lev 144, qu’on accu­sait d’a­voir copié Concorde. Avec les tech­no­lo­gies de l’é­poque, essayez de des­si­ner un avion de ligne capable de voler à Mach 2 : vous tom­be­rez exac­te­ment sur la même sil­houette géné­rale. Mais par ailleurs, les deux avions avaient des dif­fé­rences pro­fondes presque par­tout où il y avait le choix entre deux solu­tions équi­va­lentes. Ici aus­si, les deux camé­ras se res­semblent en fait aus­si peu qu’il était pos­sible tout en répon­dant au cahier des charges.

Quant au bre­vet de C&A, dépo­sé le 5 jan­vier 2014 (GoPro a dépo­sé un bre­vet sur un cais­son pour camé­ra cubique le 6 jan­vier 2014…), il s’a­git d’un simple plan sept vues (six faces et un 3/4) d’un cube à angles arron­dis. Cela rap­pelle l’é­poque où Apple accu­sait tout le monde d’a­voir copié son iPhone, dès qu’un smart­phone avait un grand écran tac­tile et un bou­ton “home” dans un rec­tangle à coins arrondis.

Rap­pe­lons qu’un bre­vet est cen­sé pro­té­ger une recherche ori­gi­nale, et ne peut décou­ler évi­dem­ment de l’é­tat de l’art. S’il faut trente secondes, à par­tir d’un cahier des charges simple et évident, pour tom­ber sur le même desi­gn, on ne peut pas qua­li­fier celui-ci d’in­ven­tion originale.

Aus­si, dépo­ser des bre­vets  sur “tiens, je pour­rais faire une camé­ra cubique” est ridi­cule. Mais il y a plus hon­teux encore : que le bureau des bre­vets les accorde.