C’est bon, j’ai supprimé !

Tout le monde le sait, on ne peut réuti­li­ser une image, qu’elle soit trou­vée sur Inter­net ou ailleurs, qu’a­vec l’au­to­ri­sa­tion de son auteur ou des ayants-droit de celui-ci.

Vous dites ? Pour les pho­tos sous Crea­tive Com­mons ou les tra­vaux sous domaine public, on n’a pas besoin de deman­der ? C’est vrai. Ça ne veut pas dire que vous n’a­vez pas à obte­nir l’au­to­ri­sa­tion, juste que l’au­teur vous l’a accor­dée à l’avance.

Vous me direz que je suis bien pla­cé pour faire la leçon, j’ai uti­li­sé des pho­tos de Bernd et Hil­la Becher il n’y a pas long­temps. Certes. Vous note­rez que je n’ai uti­li­sé que des minia­tures, à titre d’illus­tra­tion de mon pro­pos, ce qui rentre dans le cadre du droit de cita­tion. Mais en dehors de cette excep­tion, pour uti­li­ser une image, il faut l’ac­cord de l’auteur.

Puma équipés de "bambi buckets" pour la luttre anti-incendie. photo Frédéric Marsaly
Puma équi­pés de “bam­bi buckets” pour la lutte anti-incen­die. pho­to Fré­dé­ric Marsaly

Pour­tant, beau­coup de gens se servent sans hési­ter dans n’im­porte quelle pho­to pro­po­sée par Google Images. Celle ci-des­sus, par exemple, a été affi­chée en inté­gra­li­té et en pleine lar­geur sur un site d’a­via­tion, pour une page qui par­lait d’hé­li­co­ptères suisses (au moins, c’é­tait pas tota­le­ment hors-sujet), sans l’ac­cord de l’au­teur, donc au mépris total de ses droits patri­mo­niaux. Pis : elle avait été reca­drée pour éli­mi­ner sa signa­ture (pour­tant fort dis­crète) et n’é­tait pas attri­buée, au mépris total de ses droits moraux. C’est donc dou­ble­ment illé­gal, et l’au­teur a logi­que­ment envoyé une facture.

Mais en fait, je ne suis pas là pour par­ler de droit d’au­teur ; je veux par­ler de la réac­tion des contre­ve­nants. J’en parle parce que, il y a quelques jours, le phé­no­mène s’est repro­duit avec une autre pho­to dont je connais éga­le­ment l’au­trice. Celle-ci a signa­lé la contre­fa­çon de son image, et le contre­fac­teur a réagi exac­te­ment comme l’é­di­teur du site d’a­via­tion précédent.

Cette réac­tion est la sui­vante : sup­pri­mer l’i­mage publiée et se dédoua­ner de toute res­pon­sa­bi­li­té, y com­pris en répon­dant à un mes­sage de l’au­teur sur Facebook.

"Désolé, je supprime", la nouvelle excuse à la con.
“Déso­lé, j’ai sup­pri­mé, c’est bon”, la nou­velle excuse à la con.

Cette réac­tion est dou­ble­ment crétine.

D’une part, elle est cré­tine en droit. Rap­pel : on doit obte­nir l’au­to­ri­sa­tion avant toute uti­li­sa­tion d’i­mage. Lors­qu’on uti­lise sans deman­der, on est en tort. Le pré­ju­dice (un manque à gagner de la valeur de la licence de l’i­mage) est réel et immé­diat. La sup­pri­mer n’y change rien, l’i­mage aurait dû être payée à la seconde où elle a été employée.

D’autre part, elle est cré­tine sur le plan humain. La plu­part des auteurs sont heu­reux qu’on sou­haite uti­li­ser leurs images, au point que quand on demande à l’a­vance pour une uti­li­sa­tion non-com­mer­ciale, il est extrê­me­ment rare d’es­suyer un refus, même sans offrir de contre­par­tie. Bon, en l’oc­cur­rence, il s’a­gis­sait d’u­ti­li­sa­tions com­mer­ciales (un site web ven­dant de la publi­ci­té et des acces­soires d’une part, l’or­ga­ni­sa­tion d’une soi­rée payante d’autre part), mais je suis convain­cu qu’a­vec une once d’in­tel­li­gence il était pos­sible de négo­cier ami­ca­le­ment un tarif très léger. Aus­si, mas­quer la pous­sière sous le tapis, ça énerve les auteurs plus qu’autre chose : non seule­ment on a bel et bien uti­li­sé leur tra­vail, mais en plus on refuse toute com­pen­sa­tion et on sup­prime la vague pos­si­bi­li­té de recon­nais­sance qu’ils pou­vaient espé­rer de cette publi­ca­tion. (Et évi­dem­ment, on essaie de faire dis­pa­raître les preuves, aussi.)

L’exemple de la cap­ture ci-des­sus a un bonus par­ti­cu­lier : “L’in­ci­dent me semble clos”. C’est de la poli­tesse élé­men­taire : quand on est en tort, c’est la per­sonne qu’on a lésée qui décide quand l’in­ci­dent est clos. Déjà, c’est la liber­té de l’au­teur que de deman­der 12 000 € par image et par jour (il y a peu de chance que ça passe, mais après tout il fixe le prix de son tra­vail où il veut) ou de vous foutre la paix. C’est encore plus son choix de déci­der jus­qu’où aller dans les pour­suites. Petit rap­pel :

La contre­fa­çon en France d’ou­vrages publiés en France ou à l’é­tran­ger est punie de trois ans d’emprisonnement et de 300 000 euros d’amende.

Vous avez donc tout inté­rêt à faire pro­fil bas et à ne pas l’énerver.

Sup­pri­mer direc­te­ment l’i­mage n’est la bonne solu­tion que si l’au­teur le demande dès le pre­mier contact. Dans le cas contraire, deman­dez-lui ce qu’il sou­haite que vous fas­siez : la sup­pri­mer, payer, lui offrir une bière, ajou­ter un lien, ache­ter son livre… Et dans tous les cas, met­tez un mot d’ex­cuse, recon­nais­sant ouver­te­ment votre erreur (en l’es­pèce, nier est inutile, Inter­net a la mémoire longue et les cap­tures d’é­cran existent), ça pas­se­ra tou­jours infi­ni­ment mieux que de jouer au con.

Tags: