J’avoue : je m’en fous
|Je dois pas avoir de mémoire. Ou alors, je suis trop jeune con dans ma tête pour me livrer longtemps à la nostalgie.
Mais voilà, franchement, du fond du cœur : je m’en fous.
Pourtant, j’ai eu des appareils Kodak. Mon premier était un Kodak, et il bouffait essentiellement de la Gold (on était pauvres, à l’époque).
Mais voilà : autant je garde une certaine nostalgie du Mat 124G, autant je n’en ai pas pour Kodak en tant que marque. C’est le revers, sans doute, du clic-clac-merci-Kodak : la photo à consommer, pour le quotidien, celle qui ne laisse pas vraiment de trace.
Et puis, surtout, je n’ai pas d’affection des marques. Si j’apprécie le rendu d’un Tri‑X (ou d’un HP5+), je suis surtout très heureux de pouvoir le retrouver en trois clics en corrigeant ce que je veux quand je veux. Peu importe si, désormais, ça s’appelle “noir et blanc contrasté granuleux”.
Kodak disparaît (bon, techniquement, il faut dire “Kodak se restructure sous la protection d’une loi anti-faillites”, mais je crois pas aux miracles). Okay, c’était une marque historique. Et alors ?
C’était une marque historique parce que, pendant longtemps, elle a su fournir les outils adaptés à ce qu’on voulait faire. Elle disparaît faute d’avoir su continuer dans cette voie et s’adapter à l’évolution des usages. C’est Darwin qui nous parle.
Bien sûr, on peut pleurer pour la vingtaine de milliers d’employés qui risquent de se retrouver sur le carreau dans les mois qui viennent. Mais pendant que Kodak coule, douze autres entreprises se seront créées, dix autres auront fermé… Changer de travail, ce n’est pas nécessairement un drame, même si je conçois que ça soit flippant quand c’est le seul qu’on a eu pendant vingt ans. Et peu importe la marque qu’on a sur sa blouse : l’essentiel, c’est d’avoir de la bouffe dans l’assiette.
Sur le marché aussi, Kodak sera remplacée. En fait, elle l’a déjà été, c’est la raison de sa situation. Elle fut grande, s’est effondrée, voilà : ainsi va la vie. Seul un psychopathe peut mettre sur le même plan la disparition d’une marque déjà remplacée par des outils meilleurs ou similaires, et le départ d’un amour ou la perte d’un ami, qui ont comme tous les humains des qualités que l’on ne retrouvera pas chez d’autres.
Demain, peut-être, Kodak n’existera plus. Et certains pourraient me presser d’avoir une réaction, d’expliquer l’émotion qui doit me saisir face à ce drame historique…
Mais fondamentalement, je m’en fous.