K‑1 : il est né, le divin enfant

Nous sommes en 2000. La Pho­to­ki­na est en ébul­li­tion : le Phi­lips FTF3020‑C, un cap­teur CCD “full frame” au for­mat 24×36 mm, est annon­cé dans deux reflex. Le pre­mier est le Contax N Digi­tal ; retar­dé plu­sieurs fois, il arri­ve­ra fina­le­ment sur le mar­ché au prin­temps 2002, avant de dis­pa­raître dis­crè­te­ment peu après le lan­ce­ment du Canon EOS 1Ds — qui était, pour être hon­nête, lar­ge­ment plus réussi.

Le second est le Pentax MZ‑D. Le MZ‑D res­semble énor­mé­ment à son jumeau du stand, le MZ‑S, un reflex à pilo­tage entiè­re­ment élec­tro­nique ava­lant du film 135 : comme lui, il a une face supé­rieure incli­née vers l’ar­rière, un écran affi­chant les para­mètres entou­ré d’une énorme molette de réglages, un com­plexe barillet pour la sen­si­bi­li­té et la cor­rec­tion d’ex­po­si­tion, des sélec­teurs de mode d’ex­po­si­tion et d’en­traî­ne­ment, et bien sûr un flash inté­gré dont Pentax a été l’un des pion­niers. Nul doute qu’un pho­to­graphe habi­tué à l’un pas­se­ra à l’autre sans heurt : les prin­ci­pales dif­fé­rences sont la poi­gnée ver­ti­cale, un qua­tuor de touches sup­plé­men­taires (dont la balance des blancs) et sur­tout l’é­cran en cou­leurs au dos, per­met­tant d’af­fi­cher les images cap­tu­rées par le CCD.

Pentax fut le pionnier du reflex numérique 24×36 mm… - photo DigicamMuseum
Pentax fut le pion­nier du reflex numé­rique 24×36 mm… — pho­to Digi­cam­Mu­seum

Hélas, mal­gré ce début d’ex­cellent augure, Pentax annonce fin 2001 renon­cer à lan­cer le MZ‑D. “Le coût de fabri­ca­tion du pro­to­type […] ne per­met­tait pas de faire un pro­duit viable pour le mar­ché visé.” La rumeur, à l’é­poque, dit éga­le­ment que Pentax n’ar­rive pas à obte­nir des images cor­rectes avec ce cap­teur, ce que les tests du N Digi­tal confir­me­ront six mois plus tard…

Depuis lors, le mythe du numé­rique 24×36 mm Pentax res­sort régu­liè­re­ment. Au hasard, à chaque fois que quel­qu’un montre qu’on peut gagner de l’argent avec un tel appa­reil — le lan­ce­ment du Canon EOS 5D puis du Nikon D700 par exemple. Ou lorsque Pentax fait des trucs pré­vus com­pa­tibles avec le for­mat 24×36 mm, comme la nou­velle ver­sion de son D‑FA 100 mm Macro. Et si par hasard les rumeurs se taisent un peu, la marque elle-même n’hé­site pas à y aller d’un petit “oui oui, nous conti­nuons à réflé­chir sur le sujet” ou d’un “gar­dez vos objec­tifs FA, on sait jamais”.

Pentax_K-1_zooms

La vraie, abso­lue et défi­ni­tive confir­ma­tion, c’é­tait il y a pré­ci­sé­ment un an. Avec les D‑FA 70–200 mm f/2,8 et D‑FA 150–450 mm f/4,5–5,6, la marque ne pou­vait plus dire qu’il s’a­gis­sait de mises à jour des­ti­nées aux boî­tiers argen­tiques et étu­diées pour conve­nir aus­si aux numé­riques : ces deux optiques n’a­vaient pas de cra­bot de trans­mis­sion pour la mise au point et ne pro­po­saient donc l’au­to­fo­cus que sur des boî­tiers plus récents que le K10D. Des télé­zooms 24×36 mm qui n’au­raient pas d’AF sur les boî­tiers de leur for­mat ? Allons donc… Après des années de “oui ça arrive, non pas cette année”, Ricoh confir­mait ain­si l’ar­ri­vée immi­nente d’un boî­tier 24×36 mm capable de pilo­ter les optiques à auto­fo­cus intégré.

Voi­ci donc enfin celui que nous autres pentaxistes (je fais tou­jours par­tie du club, depuis que la marque a lan­cé le pre­mier boî­tier tro­pi­ca­li­sé à moins de 1000 €) atten­dions depuis plus long­temps que Duke Nukem Fore­ver : le Pentax 24×36 mm numérique.

Pentax_K-1_face

Qui suis-je ?

Le K‑1 (c’est son nom) n’a pas un posi­tion­ne­ment facile à défi­nir. C’est une bonne chose à plu­sieurs titres, parce que ça évite la confron­ta­tion directe avec tel ou tel adver­saire, parce qu’une par­tie de la dif­fi­cul­té vient d’un tarif agres­sif, et parce que ça oblige les com­men­ta­teurs à réflé­chir avant de parler.

Cette der­nière pro­po­si­tion ne marche pas à tous les coups. Dans ma petite revue de presse sur le sujet, j’ai pu noter beau­coup de com­pa­rai­sons avec le Nikon D810 ; la seule chose jus­ti­fiant celle-ci est le cap­teur de 36 Mpx, simi­laire et peut-être même iden­tique. J’ai ain­si vu repro­cher au K‑1 son auto­fo­cus plus simple (33 points contre 51) et sa rafale moins mus­clée (4,4 im/s contre 5). Ce n’est sou­vent qu’en fin d’ar­ticle que l’on pré­cise le tarif, pour dire entre deux portes qu’en fait, le D750 est peut-être le Nikon le mieux cadré dans le viseur, et sans tel­le­ment plus détailler que cela.

Nikon D750Pentax K‑1Nikon D810
cap­teurCmos 24 MpxlCmos 36 MpxlCmos 36 Mpxl
sen­si­bi­li­té100 à 51200 Iso100 à 204800 Iso64 à 51200 Iso
vidéo1080p601080p30
1080i60
1080p60
obtu­ra­teur1/4000 s1/8000 s1/8000 s
auto­fo­cus51 points
dont 15 croisés
33 points
dont 25 croisés
51 points
dont 15 croisés
cel­luleRVB 91000 pointsRVB 86000 pointsRVB 91000 points
syn­chro1/200 s1/180 s1/250 s
cartes mémoire2 SD2 SD1 CF, 1 SD
rafale6 im/s4,4 im/s
6,5 im/s en 15 Mpx
5 im/s
6 im/s en 15 Mpx
viseur100 %, 0,7x, 21 mm100 %, 0,7x, 20,6 mm100 %, 0,7x, 17 mm
écranorien­table 3,2″
640×480 px
orien­table 3,2″
720×480 px
fixe 3,2″
640×480 px
USB223
GPSnonouinon
WiFiouiouinon
dimen­sions141×113 mm137×110 mm146×123 mm
poids840 g1010 g980 g
tarif2000 €2000 €3200 €

Or, si l’on oublie une seconde le cap­teur (ou alors, autant le com­pa­rer au Sony α7R et lui repro­cher d’être lourd et encom­brant), le K‑1 a plein de choses qui disent que le D750 est le vrai adver­saire dési­gné. Comme lui, il a un écran orien­table (avec un sys­tème très inha­bi­tuel que je suis impa­tient de tes­ter) ; comme lui, il est mal­gré tout assez com­pact ; comme lui, il com­mu­nique sans fil ; comme lui, il se contente de l’USB 2 (aïe) et d’une syn­chro flash rela­ti­ve­ment lente ; et sur­tout, comme lui, il coûte moins de 2000 €. La défi­ni­tion est le seul point qui jus­ti­fie­rait de le com­pa­rer à un appa­reil plus cher d’un bon mois de Smic, mais nombre de confrères ont plon­gé tête bais­sée dans cette erreur grossière.

Face au D750 donc, le match paraît plus équi­li­bré. Le K‑1 souffre de l’ab­sence de flash inté­gré (j’en suis incon­so­lable, tant c’é­tait une tra­di­tion chez Pentax jus­qu’à l’an pas­sé, mais il semble qu’il faille me faire une rai­son), mais il pro­fite d’un obtu­ra­teur au 1/8 000 s ; il a un auto­fo­cus moins pous­sé mais il intègre un GPS ; il est moins spor­tif mais il a une meilleure défi­ni­tion ; il est plus lourd mais il a un cap­teur stabilisé.

Ceci étant, Ricoh a sur­tout réus­si à n’a­voir aucun adver­saire fron­tal : mieux-disant sur cer­tains points, plus éco­nome sur d’autres, les pho­to­graphes de pay­sages le trou­ve­ront plus com­plet que le D750, les pho­to­graphes de sport le trou­ve­ront un peu léger en géné­ral, les vidéastes le trou­ve­ront moins bon que l’EOS 6D,  et cha­cun y trou­ve­ra en fait à applau­dir et à redire.

Pentax_K-1_dos

Il y a tout de même un truc où je suis un peu déçu : les varia­tions ergo­no­miques. Certes, la molette mul­ti­fonc­tion en plus (avec un contrôle ins­pi­ré de Minol­ta) impo­sait une refonte, mais était-il néces­saire que la touche LV se balade autant ? Sous le sélec­teur AF du K‑5, au bord du prisme du K‑3, la voi­ci main­te­nant relé­guée à gauche, d’où elle a chas­sé la touche lec­ture, qui s’est réfu­giée à droite, là où on trou­vait le sélec­teur vidéo por­té dis­pa­ru. Certes, les molettes de base, les touches AF et AE‑L, le trèfle direc­tion­nel n’ont pas bou­gé, mais la logique “lec­ture et pou­belle à gauche, Live view à droite” était une vieille tra­di­tion mai­son et cette retouche va com­pli­quer légè­re­ment la vie de ceux qui auront plu­sieurs boî­tiers, sans appor­ter d’a­van­tage notable.

Stabilité fonctionnelle

Il y a tout de même une vieille tra­di­tion Pentax qui a été conser­vée : le cap­teur est sta­bi­li­sé, avec trois axes de dépla­ce­ment (laté­ral, ver­ti­cal et rota­tif) com­pen­sant cinq types de mou­ve­ments de l’ap­pa­reil (rota­tions en lacet, tan­gage et rou­lis, trans­la­tions ver­ti­cales et horizontales).

Et comme sur les pré­cé­dents modèles, Ricoh a cher­ché à uti­li­ser ce sys­tème pour offrir un maxi­mum de fonc­tions dif­fé­rentes : outre la sta­bi­li­sa­tion d’i­mage, le dépla­ce­ment du cap­teur peut être uti­li­sé pour suivre le mou­ve­ment appa­rent des étoiles lors de pauses longues (d’où l’in­té­rêt du GPS inté­gré), pour flou­ter légè­re­ment les détails pen­dant la prise de vue et neu­tra­li­ser le moi­ré, ou pour déca­ler pré­ci­sé­ment le cap­teur d’un pho­to­site à chaque étape d’une série de quatre vues. Le K‑1 obtient ain­si les infor­ma­tions RGBG com­plètes sur chaque pixel, évi­tant de déma­tri­cer l’i­mage : aucun risque de moi­ré et une récu­pé­ra­tion par­faite du piqué de l’op­tique. Le seul pro­blème, c’est avec les objets mobiles dans le champ, qui se déplacent d’une image à l’autre et com­pliquent le réas­sem­blage ; Ricoh dit avoir tra­vaillé sur le sujet par rap­port au K‑3 II (sur lequel cette fonc­tion, par­faite sur les natures mortes, deve­nait folle au moindre vent dans les branches), nous atten­drons de voir…

Conquête ou fidélisation ?

Au bout du compte, il faut évi­dem­ment com­pa­rer le K‑1 aux autres appa­reils à 2000 €. Et là, il dis­pose d’ar­gu­ments sérieux pour com­pen­ser ses quelques légè­re­tés. Il n’at­taque pas le D810, l’EOS 5D Mk III ou l’EOS 5D S ; le com­pa­rer à ceux-ci est injuste. Il sera bien plus à même de séduire des uti­li­sa­teurs cher­chant un boî­tier sous les 2 000 €, ou un kit sous les 3 000 €, qui pour­raient être frus­trés par les obtu­ra­teurs au 1/4 000 s et l’ab­sence de sta­bi­li­sa­tion des D750 et EOS 6D.

Mais sur­tout, le K‑1 a pour pre­mière mis­sion de fidé­li­ser les uti­li­sa­teurs de Pentax ten­tés de pas­ser au 24×36 mm chez la concur­rence, et sur ce point il fait peu de doute que Ricoh a visé juste. La prise en main devrait être rapide mal­gré une paire de bou­tons bala­deurs, toutes les fonc­tions aux­quelles on a pris goût sont là, et le seul han­di­cap pour un habi­tué est l’ab­sence de flash inté­gré — que je serai prêt à par­don­ner si Ricoh se décide à sor­tir une ver­sion “pilote” de son AF201 FG, afin de contrô­ler des flashs sans fil sans s’en­com­brer d’un AF360 FGZ II.